Frédéric Le Play : précurseur du catholicisme social
Pierre Guillaume Frédéric Le Play, né à La Rivière-Saint-Sauveur le 11 avril 1806 et mort à Paris le 5 avril 1882, est ingénieur des mines, économiste, homme politique sociologue ; précurseur du catholicisme social ; fondateur de la Société d’économie sociale et des Unions de la paix sociale.
Frédéric Le Play, fils d’un officier des douanes, fit ses études dans un collège religieux du Havre puis au collège Saint-Louis de Paris avant d’entrer en 1825 à l’École polytechnique . Major de l’École des Mines en 1827, il franchira les différents grades de son corps jusqu’à celui d’ingénieur en chef. Depuis les années 1880, on le considère comme un des précurseurs de la sociologie française. Le Play se réclame notamment du positivisme d’Auguste Comte, mais son approche est plus interventionniste et réformiste. Soucieuse de la « paix sociale », l’œuvre de Le Play est empreinte de penseurs comme Joseph de Maistre et Louis de Bonald. Grand défenseur des valeurs d’Ancien Régime (de la famille, de l’ordre social et du maintien des élites au pouvoir), Le Play est également l’un des penseurs du corporatisme moderne et un théoricien de l’économie sociale. Il est l’auteur d’une enquête demeurée célèbre sur les « ouvriers européens » (1855) ; il est également le fondateur de la Société internationale des études pratiques d’économie sociale et de l’Union de la paix sociale. Sous le Second Empire, Le Play fut conseiller d’Etat et réalisa de nombreuses études pour le gouvernement de Napoléon III. L’empereur l’appela à siéger au Sénat du Second Empire le 29 décembre 1867.
Ingénieur des mines, il développa à partir des observations tirées de ses voyages professionnels, à pied sac au dos et bâton en main, à travers toute l’Europe et jusqu’à la Turquie centrale, une méthode comparative d’études des sociétés s’appuyant sur le droit coutumier et les modes d’héritage au sein des familles, devenant l’un des pionniers de la sociologie française. Le Play est considéré comme une figure importante dans la genèse de la sociologie française, en particulier, en tant que précurseur des enquêtes empiriques et des techniques de collecte de données. Loin de la méthode abstraite des Libéraux, Le Play pratique la méthode concrète de l’enquête et plus précisément de la monographie. Ses principes d’observation et de recherche comparative, ses enquêtes systématiques des milieux ouvriers pratiquées dans toute l’Europe pendant 20 ans, font de Le Play l’un des premiers sociologues de terrain. Il en vient à considérer que les conflits sociaux sont dus aux malentendus idéologiques résultant de la Révolution française. Il condamne les « faux dogmes » de 1789 et des « Lumières » sur la bonté originelle de l’homme et l’égalité naturelle. Il condamne pareillement l’idée selon laquelle l’harmonie sociale peut être rétablie par l’action de l’État et la Révolution sociale.
A ces principes qui imprègnent la pensée traditionnelle de gauche, il oppose une conception qui met en avant la responsabilité individuelle, l’éthique et le droit comme fondements de l’harmonie sociale
L’ensemble de son œuvre est marquée par un dualisme associant au projet scientifique une constante ambition de réforme sociale empreinte de conservatisme, retenant comme forme idéale de stabilité familiale et sociale le système d’héritage préciputaire qu’il a étudié dans les Pyrénées et nommé famille souche.
Sa pensée eut une influence considérable et très diverse. Pionnier de la sociologie expérimentale, il a imprimé un élan décisif aux études sociales, conduites désormais à l’analyse des faits économiques et à la prise en compte des facteurs moraux et religieux. L’Action française se recommande de celui qui dénonça les « faux dogmes de 1789 » et Charles Maurras fit partie de la Société d’économie sociale. Par ailleurs, Le Play fut de ceux qui ont contribué à atténuer les abus de la révolution industrielle. Maître à penser des catholiques sociaux du XIXe siècle, qui se reconnaissaient dans son esprit contre-révolutionnaire, il a notamment inspiré les fondateurs de l’œuvre des cercles, La Tour du Pin, Albert de Mun et Léon Harmel. Au début du XXième siècle , l’œuvre de Le Play fait l’objet d’un regain d’intérêt notamment chez les militants de l’ Action Française tels que Charles Maurras mais également Louis Dimier et Frédéric Amouretti. Ces derniers se reconnaissent dans le traditionalisme et le conservatisme leplaysien et le présentent comme l’un des « maîtres » de la contre révolution. On note un net regain d’intérêt à partir des années 1960 au sein des nouvelles écoles d’histoire de la famille et d’anthropologie historique sur les système familiaux ainsi que chez certains sociologues étudiant l’histoire de leur discipline. À partir des années 1990, les travaux de Le Play ont été particulièrement popularisés par l’historien et démographe Emmanuel Todd.
Le Play en « écologiste intégral » s’est aussi intéressé à la protection des forêts, alors en plein déclin dû à une surexploitation pour le profit privé. Ainsi, après plus d’un siècle d’échec des politiques de l’État qui ont tenté de protéger ou de restaurer la forêt des défrichements ou d’une surexploitation, en montagne notamment, Le Play écrit : « La destruction des forêts de montagne, alors même qu’elle se justifie par l’intérêt du propriétaire, est un vrai désastre pour la population, le climat, le régime des eaux et l’exploitation des mines ; le mal n’a même plus de compensation quand le produit du défrichement est gaspillé avec une destination immorale. »3 Il estime que la dégradation de la stabilité de la famille dans la société montagnarde traditionnelle est une cause de destruction de la forêt et des sols. Il pense aussi qu’en restaurant la forêt, les montagnards pourraient restaurer la vie sociale de ces régions.
« Le régime du patronage se reconnaît surtout à une permanence des rapports maintenue par un ferme sentiment d’intérêts et de devoirs réciproques » ; « l’ouvrier est convaincu que le bien-être dont il jouit est lié à la prospérité du patron ; ce dernier se croit toujours tenu de pourvoir, conformément à la tradition locale, aux besoins matériels et moraux de ses subordonnés » (La réforme sociale, Livre 6, chap. 50, p. 466). Le Play estime au fond que si le capitalisme veut se sauver, il doit être familial et féodal. Dans « La réforme sociale » on trouve une longue critique des sociétés anonymes, critique fondée justement sur leur caractère anonyme : « la propriété d’actionnaires qui ne coopèrent pas eux-mêmes au succès d’un atelier de travail a pour les ouvriers un caractère moins évident et moins légitime que celle d’un patron qui donne journellement dans son atelier l’exemple de l’énergie et de la sollicitude ». En résumé, si l’on rapproche les différents ouvrages de Le Play on peut dire que les piliers essentiels de sa doctrine du patronage sont :
- la permanence des engagements réciproques du patron et de l’ouvrier à laquelle peut contribuer l’alliance de travaux agricoles et manufacturiers ;
- l’entente complète touchant la fixation du salaire ;
- les habitudes d’épargne favorisées par les sociétés de secours mutuels, habitudes qui permettent à terme l’acquisition d’un logement ;
- le respect et la protection accordés à la jeune fille et à la femme ;
- les œuvres religieuses de bienfaisance pour remédier au vice.
ŒUVRE : Outre les œuvres déjà citées : L’Organisation de la famille, 1871. — La Question sociale et l’Assemblée, 1874. — La Méthode expérimentale et la loi divine, 1875. — La Constitution de l’Angleterre, 2 vol., 1875. — La Réforme en Europe et le salut de la France, 1876. — L’École de la paix sociale, son histoire, sa méthode, sa doctrine, 1881 — La Constitution essentielle de l’humanité, 1881, etc.