Discours du 5 Avril 1910
A la réunion de Lille.
5 mars 1910.
Messieurs, Au temps de la « Patrie Française », je suis venu à Lille deux fois, si je ne me trompe. J’ai parlé ici même et peut-être que quelques-uns de vous s’en souviennent encore. La dernière fois (il doit y avoir sept ou huit ans), la République, certes, avait cessé depuis longtemps d’être aimable. Elle était déjà ce qu’elle ne peut se dispenser d’être : la tyrannie d’un parti, la division du pays, le désordre, l’irresponsabilité, la destruction. Il y avait déjà les fiches, une armée en triste état, une marine blessée à mort, des finances déplorables et, en préparation, leurs lâches lois de persécution religieuse. Mais je n’osais pas dire encore : « C’est la République qui produit ses fruits naturels et inévitables. » J’étais si crédule que j’en appelais de la République criminelle à la République honnête et du suffrage universel trompé et faussé au suffrage universel éclairé et sincère. Je disais : « Préparons une République meilleure. » Bref, je pensais qu’on peut améliorer la peste. Mais depuis !
Nous avons vu la loi sur les associations, et les religieux et les sœurs chassés de leurs couvents et de leurs écoles et dépouillés de leurs biens; nous avons vu la loi de séparation et le vol le plus monstrueux qui ait été perpétré depuis la Révolution, l’antipatriotisme à l’école, et, par l’affaiblissement continu de la défense, la France comme livréeau plaisir de l’étranger, des budgets en déficit croissant et l’installation du pillage : de sorte que les retraites ouvrières », — permises aux monarchies, qui ont l’ordre et la bonne économie des deniers publics, — apparaissent chez nous ou comme une escroquerie probable, ou comme une aventure impossible à tenter.
Et je dis cette fois, — surtout après avoir vu de près le fonctionnement du système électoral qui est le régime lui-même : « Tout cela, ce n’est pas la mauvaise République : c’est proprement la République. » Voilà pourquoi, venu jadis avec la « Patrie Française », je reviens avec l’Action Française; et j’estime que je n’ai fait qu’aller, jusqu’au bout de ma pensée et qu’être conséquent avec moi-même. Nos raisons, vous les connaissez : elles sont dans l’Enquête sur la Monarchie de notre admirable Charles Maurras; elles sont tous les jours dans notre journal. Nous ne prétendons point que la royauté serait, par un coup de magie, l’âge d’or et le parfait bonheur. Mais enfin, un pouvoir central qui représente et défende les intérêts permanents de la nation; un chef dont l’intérêt personnel se confonde nécessairement avec celui du pays; un chef, héréditaire, afin que le pouvoir, étant continu, soit assez fort pour supporter les libertés provinciales et corporatives et pour suivre les longs desseins extérieurs…
Vous avouerez bien que cela est plus raisonnable et plus rassurant qu’un régime qui place en bas et dans le nombre la source de l’autorité et qui, du suffrage aveugle, ne peut faire surgir que de petits souverains irresponsables et incompétents, lesquels se moquent bien des intérêts généraux, n’ayant d’autre souci que de se conserver euxmêmes, ni d’autre moyen, pour cela, que de se former en bande et d’exercer la plus odieuse des tyrannies. La royauté, c’est la raison, c’est le bon sens, je dirai presque : c’est la nature. Toute l’Europe est monarchique (la Suisse exceptée, dont le cas historique est particulier) ; et ces monarchies sont, les unes puissantes, les autres relativement prospères. Entre la République et la Monarchie, la libre Norvège n’a pas hésité.
Et, chez nous-mêmes, malgré la terrible coupure de la Révolution et de l’Empire, la royauté n’est point quelque chose de si étrange et de si périmé. Nos grands-pères l’ont encore connue et s’en sont fort bien trouvés, en somme. Ce que je vous dis là, Messieurs, c’est la vérité. Je crois que beaucoup d’entre vous se feraient peu prier pour en convenir. Mais pourquoi tous ceux qui le reconnaissent dans leur cœur ne le disent-ils pas publiquement? Que craignent-ils? Ils disent : « Oui, ce serait le bon sens, et ce serait le salut. Mais c’est impossible. Il y a des courants qu’on ne remonte pas. Jamais la France ne reviendra à la monarchie traditionnelle; il y a contre elle des préjugés trop forts. Au reste, un coup d’État ne peut s’exécuter que par ceux qui sont au pouvoir. Enfin, ce n’est qu’un rêve »…
Messieurs, il y aurait beaucoup à répondre. Les préventions du pays ne tiendraient pas devant le fait accompli; et, telles circonstances données, une révolution peut être faite par une minorité énergique, et je dis même par quelques hommes. Mais j’admets que ce soit extrêmement difficile; j’admets que, dans l’état actuel des choses, cela paraisse presque impossible, je demande : « Qu’est-ce que cela fait? » J’entends par là : Si le salut semble malaisé, est-ce une raison pour ne pas reconnaître publiquement où est le salut? Les chances d’une restauration sont petites? Mais vous les augmenteriez en la désirant ouvertement : au lieu que vous les diminuez encore par l’acceptation passive d’une République que vous haïssez. Si vous proclamiez cette haine, et si vous appeliez clairement de vos voeux la révolution conservatrice, vous auriez bientôt des imitateurs de votre franchise, et, peu à peu, qui sait, se formerait partout un état d’esprit favorable aux audacieuses et bienfaisantes entreprises.
Messieurs, je respecte extrêmement l’opinion des autres quand elle est sincère et réfléchie : mais la respecter ce n’est pas s’interdire de la redresser si l’on peut, quand on la juge erronée… Eh bien, je pense en ce moment à une Ligue honorable, certes, et active et dévouée et patriote, mais qui nous trouve excessifs et imprudents, et qui s’est juré, elle, de s’en tenir éternellement à l’opposition constitutionnelle. L’homme éminent qui préside cette Ligue exposait dans un article récent, son programme et ses desseins. Il s’agit de créer, par des moyens légaux, un parti républicain modéré, « un parti tory en face du parti jacobin », un parti qui, à la longue, peut-être, conquerra la majorité à la Chambre, fera échec au bloc et le supplantera un jour. Voyons, Messieurs, est-ce sérieux? Est-ce possible? L’honorable président, sentant lui-même tout le chimérique d’un tel projet, ajoute : « Qu’on raille les illusions naïves de notre Ligue, son éloignement pour la violence, ses vains appels au suffrage universel, rien n’est plus facile que la raillerie. » Aussi, nous ne raillerons pas. Mais nous lui opposerons ses propres aveux :
« Voilà quarante ans, écrit-il, que la République existe de fait, trente-cinq ans qu’elle existe légalement… Le 16 mai, le Boulangisme, le Panama, le nationalisme, se sont succédé sans l’ébranler; et, ce qui est plus extraordinaire, ses fautes, ses prodigalités, ses attentats contre les droits des consciences, ses confiscations, ses fermetures d’écoles et de couvents, ses entreprises contre la constitution de l’Église ne l’ont pas ébranlée davantage. »
Le même dit encore :
« Les pires excès n’excitent plus que des émotions passagères, sans échos dans la rue, sans influence aux élections… et la situation, loin de s’améliorer, s’aggrave.»
Alors?… Espère-t-il envoyer 350 députés conservateurs a la prochaine Chambre? Non. Mais, s’il s’obstine à « disputer, comme il dit, le terrain à l’envahisseur », c’est« par devoir ». — « Voilà pourquoi, ajoute-t-il, notre Ligue se bat et, s’il le faut, se fera battre. » Paroles mélancoliques ! Mais comme elles servent notre thèse ! Puisque tant de bons efforts, scrupuleusement constitutionnels, sont condamnés d’avance, il n’y a donc plus que l’effort inconstitutionnel dont nous puissions attendre quelque chose. Et, comme je vous le disais, Messieurs, vous en accroîtriez les avantages et les chances en vous joignant à nous. Messieurs, je dirai tout.
Ce qui me passe, ce qui me semble presque incompréhensible, je l’avoue, c’est que des catholiques, à l’heure qu’il est, puissent encore se dire républicains. J’entends bien qu’ils croient saisir de vagues rapports entre la République démocratique et l’Évangile. Mais, si la primitive Église eut peut-être des aspects de République, c’était une République de saints, et qu’on n’a point revue; d’autre part, le troisième terme de la devise républicaine : « Fraternité », le seul qui soit vraiment évangélique, parait aujourd’hui plus dérisoire encore que les deux autres. La République, étant le gouvernement de la maçonnerie, est essentiellement, dans son fond et son tréfonds, ennemie du catholicisme. Croire que la République, après trente ans (car cela commence aux Lois Ferry) de persécutions opiniâtres et croissantes contre l’Église, lui rendra quelque jour ses biens et sa liberté; croire qu’elle cessera d’être persécutrice et d’obéir au plus fatal et au plus abominable de ses instincts, et compter pour cela sur quoi? Sur de « bonnes élections » et, par exemple, sur cette « représentation proportionnelle » qui ne serait qu’un changement de mensonge… Non, je n’ose dire ce que je pense d’une pareille illusion.
Enfin, Messieurs, vous êtes des Flamands. Vous avez un passé magnifique de fierté. Avant de connaître le bienfait de la royauté française, vos ancêtres se sont défendus contre le roi de France pour être libres. Il serait digne de vous, aujourd’hui, de revenir au Roi pour la même raison : pour être libres encore, et en haine de la tyrannie et du désordre républicains. A bas la République ! Vive le Roi !