La Bourse et la fortune publique

La bourse et la fortune publique

La Liberté, 2 décembre 1929.

On a beaucoup remarqué que le gouvernement lui-même,  par un communiqué officiel, a fait savoir que la baisse de la Bourse n’avait ni un caractère alarmant ni un caractère profond et que, selon l’expression consacrée, « la position de la place était saine ». Autrefois, les mouvements de la Bourse ne semblaient pas intéresser l’État. La hausse, la baisse étaient regardées comme des jeux de spéculateurs, l’affaire d’un petit nombre de personnes pour lesquelles, entre nous soit dit, on n’avait pas une extrême considération. Tout cela a bien changé.

Il est vrai que l’État a toujours dû se préoccuper de la Bourse parce que le cours de ses rentes est le signe de son crédit. Mollien, ministre du Trésor sous le Premier Empire, raconte que Napoléon se fâchait quand le 5 pour 100 tombait trop bas et s’impatientait de ces fameuses « questions de place » par lesquelles on voulait lui expliquer les mouvements des valeurs. Mais, dans la baisse de ces jours derniers, ce qu’il y a eu de plus ferme, ce sont précisément les rentes françaises, chose qui eût d’ailleurs paru incroyable il y a à peine dix-huit mois. Si le gouvernement se préoccupe de la tenue des cours, c’est donc pour d’autres raisons.

C’est d’abord parce que la Bourse est pour l’État une excellente vache à lait. Il l’a frappée d’impôts divers qui rapportent de grosses sommes au Trésor. Marasme boursier signifierait réduction de recettes fiscales. Mais il faudrait justement savoir si, là encore, l’excès de la fiscalité n’est pas une des causes du marasme. Quand la moindre opération de Bourse commence par l’acquittement de lourdes taxes, le spéculateur y regarde à deux fois avant de jouer une partie où l’État, croupier, commence par un prélèvement excessif sur la mise. Quant au sage épargnant, il se dégoûte d’acheter des valeurs dont le coupon est abusivement rogné au point, parfois, de disparaître. A force de traire la vache, le fisc tarit le lait.

Ce n’est pas tout. L’activité de la Bourse n’a peut-être jamais été liée autant qu’aujourd’hui à l’activité des affaires. Depuis plusieurs années, innombrables sont les personnes qui ont pu maintenir leur niveau de vie en achetant et en revendant des valeurs. Les revenus avaient diminué. On faisait compensation avec des plus-values de capital. Et l’on savait, dans beaucoup de commerces, que la clientèle se restreignait dès que la Bourse n’allait plus. Alors une baisse persistante, un marasme prolongé signifieraient aussi un ralentissement des affaires, et, par voie de conséquence, un ralentissement du produit de la taxe sur le chiffre d’affaires.

On comprend alors pourquoi l’État est intéressé à un bon fonctionnement de la Bourse. Le Trésor public, le budget lui-même en dépendent. Les valeurs mobilières, tant honnies, tant pressurées, ont ainsi leur revanche. Le gouvernement est bien bon de publier des communiqués rassurants. Qu’il commence par ne pas tuer la poule qui lui pondait des oeufs d’or.

La Liberté, 2 décembre 1929.

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