L’organisation du Travail

L’Organisation du travail

Par Georges Valois

I. La révolution économique

Un très grand changement s’accomplit en France, sous nos yeux. Dans un siècle, peut être plus tôt, cela s’appellera la « Révolution économique du XX°siècle ». Car c’est bien d’une révolution qu’il s’agit: on renverse un ordre établi, et l’on construit un nouvel ordre.

L’ordre établi, c’était celui de la Révolution de 1789, par laquelle l’individu, le citoyen était souverain, et qui interdisait toute association aux producteurs pour la défense de leurs prétendus « intérêts communs ». Les doctrines de 1789 rendaient ainsi impossible toute organisation du travail. Nous avons vécu ainsi pendant plus d’un siècle dans l’individualisme ; le travail n’ayant plus ni coutumes ni règles propres, n’étant plus soumis qu’à une loi, celle de l’argent, et à une vague réglementation qui lui venait des lois fabriquées par le Parlement. C’était là l’ordre établi, qui n’était en somme que le désordre, puisque le propre de cet ordre était de n’avoir aucune loi, que celle de la fantaisie de chacun.

L’ordre nouveau, c’est celui de l’association professionnelle, des unions d’associations, de l’association provinciale des métiers, et de l’association nationale des groupes économiques et des provinces. La loi, c’est que l’individu doit se mouvoir dans le cadre des associations professionnelles, qu’il n’est nullement libre de faire ce qu’il veut, et qu’il doit accepter les règles et coutumes de la profession, à l’élaboration desquelles il participe, et qui sont la sauvegarde de la profession et de la sienne propre. La loi, c’est encore que chacun doit des comptes à son voisin, que chaque syndicat doit des comptes au syndicat voisin, et que les groupements de métiers, de professions, de provinces, doivent des comptes à la Nation.  La loi, c’est enfin que les règles et coutumes des métiers doivent être établies par les métiers eux-mêmes, et non par des législateurs ignorants. Enfin, l’Etat au dessus de tous est regardé comme l’organe par lequel l’intérêt national corrige, comprime, redresse.  Voilà les tendances profondes de chaque groupement, les idées, les principes, les doctrines qui animent aujourd’hui tout le mouvement économique.

Les survivants de 1789 et de 1848, qui participent à ce mouvement, peuvent dire qu’il est dû à la démocratie. La vérité est que l’oeuvre toute entière est opposée à la démocratie. Les français du XX°siècle sont en train de défaire, morceau par morceau, l’oeuvre de la révolution de 1789 et de construire une économie française dont l’organisation sera en même temps conforme à la tradition nationale et aux nécessités des temps modernes. Une chose est sûre, l’oeuvre nouvelle ne sera pas menée à bien par le personnel démocratique, qui ne la comprend pas ; entreprise par des Français sortis de l’ornière démocratique, elle n’atteindra son plein développement que lorsqu’elle sera entièrement conduite par eux.

II Comment les démocrates ont conçu l’organisation du travail

Lorsque les démocrates ont vu qu’ils ne pourraient plus s’opposer au mouvement syndical, ils ont décidé d’y pénétrer pour le détourner. A vrai dire, ils n’ont pas une organisation du travail à réaliser : ils n’ont vu qu’une nouvelle forme de l’organisation électorale.

Du côté ouvrier, ils ont considéré les syndicats comme de nouveaux comités électoraux où les ouvriers viendraient pour des raisons professionnelles, mais où, dirigés d’une manière occulte par les préfets et hommes politiques, ils ne feraient rien d’autre qu’une besogne à destination électorale. La grève était regardée comme un moyen de pression politique sur les conservateurs et les libéraux. En fait, pendant trente ans, le mouvement syndical n’a été, sous la conduite des politiciens socialistes, qu’un mouvement appuyant les manoeuvres électorales, c’est pourquoi il n’a donné absolument aucun résultat intéressant pour les classes ouvrières.

Du côté patronal, même opération. Pendant vingt ans, le syndicalisme patronal a mené une existence morne, sans grande influence sur la production, parce qu’il a été pénétré par la politique. C’était moins apparent que pour le syndicalisme ouvrier ; mais c’était néanmoins très sensible. Les hommes politiques avaient manoeuvré pour faire placer à la tête des syndicats patronaux, des hommes qui étaient leurs grands agents électoraux et dont l’action devait être de remplir les caisses électorales des partis. On tenait les hommes avec les promesses de décorations. Les chefs des organisations patronales étaient décorés beaucoup plus pour les services rendus aux partis que pour leurs services professionnels.

En résumé, pour les chefs de la démocratie parlementaire, le syndicalisme ouvrier était une machine à recruter des voix,  et le syndicalisme patronal une machine à recruter des fonds pour les caisses de propagande des partis politiques. Lorsque l’on a bien compris celà, on ne peut pas s’étonner que jusqu’en 1914, les deux syndicalismes aient rendu si peu de services à la production. Nous avons déjà des syndicats nombreux ; mais il y en avait fort peu qui eussent un caractère vraiment économique.

III. Quand a commencé la révolution économique

Elle a commencé le 2 août 1914, jour où la mobilisation a fait comprendre aux français qu’ils avaient vécu jusque là sur des idées fausses. Devant le spectacle de l’impréparation de la guerre (qui nous a valu une guerre longue et ruineuse), des milliers de français ont juré que celà ne recommencerait pas. Dans les tranchées, dans les camps de prisonniers, et enfin en 1918, les Français ont vu la vérité : on avait cessé de leur dire que les Allemands leur étaient supérieurs par leur génie de l’organisation ; ils ont vu, de leurs yeux, ces Allemands à l’oeuvre ; ils ont constaté que, dans des circonstances semblables, les français étaient capables de faire mieux que les Allemands. Pourquoi donc l’organisation française était elle inférieure à l’organisation allemande avant la guerre ? La vérité apparaissait : ce n’était pas à cause du caractère français, c’était à cause des idées que les français ont subies pendant un siècle et demi.

Au 11 Novembre 1918, les français jetaient au vieux matériel les idées qui avaient failli les faire mourir. Les temps de l’individualisme de 1789 étaient finis.

Mais en rentrant, les combattants trouvèrent un esprit différent du leur : à la tête des organisations professionnelles, tout le vieux personnel à décorations entendait se maintenir en place, et ce vieux personnel demeuraient pénétré des idées d’avant-guerre, croyant dur comme fer que le monde « évoluait » à gauche. La guerre, qui marquait la fin des temps démocratiques, était regardée comme le triomphe de la démocratie.

D’autre part, tous les embusqués de la guerre, embrigadés dans le parti socialiste, prétendaient faire la loi et entraîner la France dans une révolution à la moscovite. L’inertie des patrons à décorations et le délire des embusqués, ont failli causer une crise grave à la France. Il y a eu un moment où des patrons complètement abrutis envoyaient eux mêmes leurs ouvriers dans les bras du pauvre Jouhaux, grand maître de la CGT, qui faisait le jeu des communistes.

Mais c’est pendant cette crise même que, de tous côtés, des hommes se sont donné pour mission de faire passer dans la réalité les idées qu’ils avaient mûri pendant la guerre. La révolution économique en cours sera l’oeuvre des combattants et de ceux qui ont compris les leçons de la guerre. Le mouvement commencé est désormais irrésistible. Rien ne l’arrêtera.

IV. Comment le mouvement se manifeste

Premièrement, il ne faut pas confondre le mouvement économique vrai et le mouvement économique verbal et de pure forme engagé par quelques parlementaires, qui essaient de tromper le public.

Le mouvement artificiel, verbal, c’est celui qui tend à la constitution d’un Parlement économique, qui serait ainsi constitué : les français seraient légalement parqués dans des compartiments économiques, où on les feraient voter démocratiquement pour leur faire nommer leurs représentants. Des élections de ce genre seraient aussi truquées que les autres, et l’on verrait comme représentants « économiques » tout ce que la profession compte de non-valeurs.

La mouvement vrai, profond, salutaire, c’est celui que nous voyons se développer, qui est engagé par des hommes énergiques, qui ne sont pas « représentants » mais des chefs, et qui groupent autour d’eux des hommes qui se dévouent pour leur métier, et non pas les « électeurs » qui ne quittent pas leur fauteuil ou le coin de leur feu.

Ce n’est pas un mouvement de « constituants », de gens qui rédigent des statuts et des réglements, c’est un mouvement d’hommes d’actions, qui agissent, qui créent, qui construisent, et qui font rédiger la coutume après l’action, lorsque la coutume s’est dégagée de l’expérience.

Regardons maintenant les créations ; En moins de quatre années, un monde nouveau d’associations s’est crée : les syndicats ont été fédérés ; les fédérations ont été réunies en confédérations ; les Régions économiques sont en formation. Voilà les fondations auquelles a donné lieu l’esprit nouveau sur le plan national pendant la guerre ou depuis la guerre. Et s’il fallait citer ce qui avait été fait dans l’ordre local ou dans l’ordre purement professionnel, il faudrait occuper des dizaines de pages. Toutes ces fondations sont d’ailleurs loin d’avoir le même esprit. Il en est dont les chefs appartiennent encore au vieil esprit démocratique. Mais elles témoignent toutes d’un même esprit sur le plan économique : d’esprit anti-individualiste ; c’est à dire, qu’elles le veuillent ou non, qu’elles sont essentiellement antidémocratiques.

Mais le fait capital est le suivant : actuellement, presque tout le mouvement est dominé par cette idée, Que l’organisation générale économique doit être faite par des groupements économiques et non par classes. L’idée de classe, essentiellement socialiste marxiste, sur laquelle on fait reposer toute organisation, il y a peu de temps, cette idée là est en recul partout, et disparaîtra totalement prochainement.

Le principe de l’organisation désormais, commande la réunion des producteurs selon les critères professionnels, qu’ils soient patrons, ouvriers ou techniciens, chaque catégorie constituant son syndicat, la réunion des syndicats constituant le groupe économique ou le groupe provincial.  L’excellence du principe et de ses applications a été démontrée dans les semaines économiques instituées en 1920, et donc chacune a produit un organisme permanent, qui est le noyau des futures organes économiques nationaux.

L’aboutissement, ce sera le conseil économique national dont les premières pierres sont déjà posées, soit à la Confédération de la Production Française, soit à la Confédération l’Intelligence et de la Production Française, soit enfin et surtout au Comité de liaison des grandes associations économiques qui a été fondé au printemps de l’année 1922, et dont l’action a déjà été efficace, notamment au moment de la conférence de Gênes lorsque, par les déclarations qu’il a faites sur le droit de propriété, il a permis au gouvernement français de contre-battre l’offensive germano-bolchéviste.

Peu à peu, par une action méthodique, sous l’impulsion d’hommes représentant des conceptions politiques différentes, mais en plein accord économique et national, se constituent les organes centraux de l’économie française. La figure de la France de demain est dessinée ; d’innombrables républiques corporatives et provinciales y apparaissent, reliées par des centres provinciaux et nationaux, ayant une même tête et un même coeur, et vivant sous la protection d’un Etat fort mais réduit à ses attributs essentiels. Des démocrates continuent de croire que ces républiques professionnelles pourront vivre et se développer au sein de la démocratie. Ils verront bientôt leur erreur. Quelques uns l’ont déjà vu et l’ont dit : plus les corps professionnels grandissent, plus l’Etat doit être libre et fort.

Or, il n’y a d’Etat libre et fort que la Monarchie. La France, par le travail de création économique où elle est aujourd’hui, appelle de ses voeux à demi conscients la monarchie traditionnelle , protectrice des républiques françaises.

Georges Valois, en 1923

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