Notes Politiques : Après les élections !

NOTES POLITIQUES

15 mai 1906.

APRÈS LES ÉLECTIONS !

Comprendra-t-on? L’autre soir, au dîner de l’Action française, le lendemain même de la journée électorale du 6 mai, notre éminent ami, M. l’abbé de Pascal, cherchant, avec sa verve lumineuse, la philosophie de cette journée, la ramassait toute en trois mots de bon latin, qu’il dédiait à qui de droit « Vexatio aperit intellectum », « Les coups ouvrent l’esprit! » Il augurait donc que la démonstration, si amplement déroulée par M. Clemenceau, sous forme de « volée de bois vert », sur l’échine des pauvres moutons de l’Action libérale, ne serait pas perdue pour eux tous.

On voudrait l’espérer, certes. Et, en somme, il n’est pas impossible de concevoir un mouvement, assez prompt, assez vif, par lequel se retourneraient, nombreux, vers la vérité politique longtemps oubliée, ou sottement écartée comme trop « théorique », les esprits de tous ces Français conservateurs, catholiques, patriotes, qui viennent d’éprouver si durement l’ineptie des fameux « praticiens » auxquels ils s’étaient confiés. De ces praticiens, ou, disons le mot propre, de ces charlatans, il est à présumer que la plupart vont montrer, au moins pendant quelque temps, des figures modestes, gênées. L’un d’entre eux, il est vrai, et même, c’est le plus notoire, a réussi. On le verra donc très à son aise; il parlera, pérorera. Il a réussi. On peut même prédire qu’il est celui qui réussira toujours, car son rêve est modeste, réalisable. M. Jacques Piou brûla, toute sa vie, de devenir, puis de redevenir député. Il l’est redevenu. Dans le désastre, dans le fléau qui passe sur notre pays, cet illustre docteur, dont le coup d’oeil est si sûr, et dont le faux-col, en tout cas, a tant de dignité, d’autorité, n’aura pas eu trop à se plaindre. Son cabinet de consultation a prospéré. Préparons-nous à le voir très entouré par tous les infirmes des couloirs du Palais-Bourbon.

Quant à ses confrères, à ses disciples malheureux, le meilleur parti qu’ils puissent prendre, ce va être de se taire. Et il est probable qu’ils le prendront.

Nous allons donc entrer, tout au moins pour quelques mois, dans une période de silence, de calme, où une sorte de recueillement étant possible, désiré même, par beaucoup, quelques bons citoyens pourront être amenés à reconnaître la profondeur et la nature exacte de l’illusion dont ils ont été victimes. On va pouvoir parler sérieusement de politique proprement dite. On va pouvoir expliquer, à ces catholiques, à ces patriotes, à ces conservateurs, pourquoi et comment il se fait qu’il ne leur ait pas suffi, le 6 mai, de se dire, de se croire, de se vouloir républicains, pour être admis, pour être tolérés dans la République, et à plus forte raison pour y dominer. On va pouvoir leur montrer, ou leur rappeler comment la République n’est pas du tout un mot, creux, vague, inoffensif, et qu’on puisse emprunter, adopter du jour au lendemain, pour en orner ou en déguiser un programme, un discours de réunion publique, et comment, au contraire, elle est une chose, une force, une réalité concrète, parfaitement déterminée, résistante, indéformable; un « bloc », enfin, c’est-à-dire un parti homogène, lié et constitué par une passion et une volonté commune à tous ses membres, profondément enracinée en eux, et qui ne se peut point feindre, quand on ne l’a point.

Nous comptons donc sur tous nos amis, lecteurs, ligueurs, réunis ou non en groupes déjà constitués, pour entreprendre immédiatement ce grand et indispensable travail préliminaire de toute propagande d’Action française tuer, brûler, mettre en cendre, par tous les moyens, par toutes les forces de la discussion critique, de l’ironie ou de la colère, les mauvaises broussailles toujours stériles, et aujourd’hui pourries sur pied, du demi-républicanisme, et de tous ces hypocrites essais locaux dont se sont laissé encombrer, depuis 1873, tant de hautes cervelles françaises, jadis plus probes, plus nettes et mieux tenues.

Toutefois, rappelons-nous que le temps presse. Pour que ce nécessaire, mais énorme travail entrepris par l’Action française, du déblaiement, de l’éclaircissement, du redressement de l’esprit politique chez un si grand nombre de nos concitoyens, ne risque point de leur apparaître et de nous apparaître à nous-mêmes, bientôt, comme chimérique, c’est à-dire comme impossible à achever dans l’espace d’une vie humaine, et pour qu’on ne nous objecte point que nos vérités arriveront trop tard à la connaissance du « peuple », pour le guérir d’une erreur dont il est déjà plus qu’à demi empoisonné, il importe de nous expliquer encore une fois sur la méthode pratique et sur les procédés immédiats que l’Action française entend appliquer à son œuvre d’éducation politique « intellectuelle ».

« Intellectuel » est un bien beau mot, tout à fait flatteur, dit-on, à prononcer et à entendre et Dieu sait si on nous le ménage, si on nous l’envie. Eh bien, ce n’est pas cela du tout ce que l’Action française a demandé de tout temps, et va, de plus en plus, demander à ses amis, à ses propagandistes, aux organisateurs de ses groupes, de sa Ligue, ce n’est pas de devenir de profonds théoriciens en politique, en sociologie, ou de grands érudits en histoire, ou d’étonnants philosophes il ne s’agit nullement de découvrir des vérités nouvelles, et cachées au vulgaire, et de faire de la haute science, non plus que de la haute métaphysique.

Il s’agit de découvrir, chacun, autour de nous, et de grouper des forces, non « intellectuelles », mais intelligentes, c’est-à-dire des hommes, tout simplement, qui puissent et qui veuillent comprendre ce qui se passe sous leurs yeux, tout près d’eux, et jusqu’en eux-mêmes la présente crise, décisive, de la vie nationale française. Or, pour cette recherche, pour ce discernement des intelligences et des volontés entières, libres, énergiques, dont nous avons absolument besoin, mais qui existent, dans toutes les régions du pays, dans toutes les classes de la société, il n’est pas besoin de faire appel à une psychologie bien longue, bien compliquée. Il faut seulement que nos amis, que ces « recruteurs », que demandait Maurras l’autre jour, mènent, dans chaque « cas » nouveau, la conversation, un peu vivement, jusqu’aux deux ou trois points essentiels, sensibles, « névralgiques », par où se décèle toujours la qualité d’âme, et de corps, du « conscrit ».

Le « nationalisme intégral » n’est point une « théorie » (prenons le mot au sens que lui donnent les « bleus » à la caserne) qui exige, pour être comprise, des répétitions infiniment longues c’est plutôt une vue, ou, si l’on veut, un point de vue, auquel chaque Français est invité, incliné, porté, par sa naissance même, par ses souvenirs, par ses traditions familiales et religieuses, à se placer, dès qu’il s’agit de politique. Mais comme ce point de vue, celui de l’intérêt national, est assez haut, et comme, dès que l’on avoue s’y être élevé une fois, on s’oblige en quelque sorte, par le fait même, à ne plus en redescendre, et à ne plus feindre de confondre l’intérêt national, tout général, ainsi aperçu, avec quelques autres intérêts ou sentiments tout particuliers auxquels on tient beaucoup, il arrive parfois que l’on se dérobe dès le début de la conversation. Cet infâme entêtement, ce parti pris ignoble de ne point comprendre, ou de ne point conclure, sera bien vite percé à jour, chez tous ceux où il existera, par nos amis. Qu’ils coupent court, alors, résolument; qu’ils classent leur homme, et quelle que soit l’importance apparente de la « situation » qu’il occupe, du rôle qu’il joue, des fonctions qu’il exerce dans le « bon parti », dans le « parti des honnêtes gens », qu’ils l’écartent avec politesse. Ils gagneront ainsi un temps précieux.

Mais encore, dira-t-on, est-il quelques signes précis, quelques symptômes frappants auxquels on puisse reconnaître cette tare de la mauvaise foi politique, dont nos amis vont avoir à faire prompte justice? Oui! S’ils veulent empêcher que ne recommence, dans quatre ans, la gigantesque escroquerie morale et matérielle organisée par M. Piou, au détriment de braves conservateurs dont il endormait et engourdissait l’intelligence, par un flux de niaiseries menteuses, pendant que sa clientèle explorait leurs poches; s’ils veulent mettre hors d’état de nuire au pays tout un monde de politiciens conservateurs, libéraux, modérés, qu’il nous est impossible de préférer à l’autre joli monde des politiciens républicains s’ils veulent que cesse l’entreprise d’abêtissement, d’abrutissement des Français, et de trahison des Catholiques, menée par de vagues Féron-Vrau unis aux académiciens de la Revue des Deux Mondes pour nous faire avaler en douceur la mortelle loi de Séparation de l’Eglise et de l’Etat; s’ils veulent enfin préserver l’Armée, le dernier organe resté vivant de notre société, de la dissolvante peste dreyfusienne qui l’attaque déjà, alors nos amis n’ont qu’à acculer toujours, impitoyablement, leurs interlocuteurs de leur réponse, plus ou moins informe et inconsistante, à une seule question capitale qui est celle-ci: Qu’il s’agisse d’un républicain, d’un royaliste, d’un bonapartiste, avant de l’inscrire à l’Action française, il faut savoir, mais il suffit de savoir, non pas pour quelle idée (les « idées », même les plus sottes, sont excusables et insignifiantes en somme, tant que l’individu n’en est pas possédé jusqu’au sang) il s’agit de savoir donc, non pas pour quelle idée, mais pour quel intérêt il peut, sait et veut marcher l’intérêt de son parti ? ou l’intérêt de la France?

S’il apparaît, en fait, préoccupé et obsédé, habituellement de l’intérêt de la conservation, et même de « l’organisation » de son parti, – fut-ce d’un parti royaliste, il n’y a rien à faire pour nous, avec lui. S’il apparaît, au contraire, en fait, préoccupé de l’intérêt, de la conservation, de l’organisation de la France actuelle, telle qu’elle est, tout entière, alors on peut causer; quand même il ne concevrait que faiblement, maladroitement, naïvement cet intérêt, ces moyens de conservation et d’organisation; quand même il ne serait qu’un ouvrier ancien boulangiste, un gamin nationaliste, lecteur de l’Intransigeant, -ce pauvre et inoubliable Fanfournot chez qui Barrés, un jour, nous a conduits, au fond de Grenelle, et qui, le 6 mai de cette année, vivait encore, puisqu’il vota pour notre ami Briout, au cri de « Vive Philippe » – quand même enfin, il ne serait qu’un patriote, tout uniment, notre conscrit de la Ligue d’Action française, c’est à lui qu’il faut que l’on parle, et c’est à ses pareils que s’adresse notre éducation « intellectuelle », tant que vous voudrez! Elle va consister, cette éducation, après la journée grotesque du 6 mai, à lui apprendre, à ce citoyen, qu’il est quelque chose de plus, tout de même, qu’un électeur, et qu’il y a d’autres moyens, pour lui, de se faire sa petite place au soleil, que le bulletin de vote.

Henri Vaugeois.

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