Origines de l’Action Française et ses moyens de propagande

LES ORIGINES DE L’ACTION FRANÇAISE

ET SES MOYENS DE PROPAGANDE

I

Extraits d’une conférence donnée par M. Alain Raizon du Cleuziou à la section d’Action française des Côtes-du-Nord, le 29 janvier 1906. Pour la période antérieure à 1902, M. du Cleuziou a, dit-il,  «  mis à profit, et parfois transcrit mot par mot » un remarquable travail composé par M. Eugène Caignart  » de Mailly, en décembre 1905, pour les « Etudiants d’Action française ». Nous avons donné la plus grande partie de cette conférence dans l’Almanach de 1909 ; nous nous bornons à en reproduire quelques traits essentiels. Ce que j’ai à exposer est un fait tout à la fois très simple et très éloquent. Des républicains, jeunes pour la plupart, et d’origines très diverses, sont venus à la monarchie. Ils ont été conduits par leurs études, par leurs réflexions propres ; ils ont par des raisons, par des considérations nouvelles, par l’originalité de l’évolution de leur pensée, donné un caractère de jeunesse et de nouveauté à l’idée monarchique que trop de préjugés présentaient comme une conception arriérée, contraire au progrès….

L’oeuvre entreprise en août 1899 par les écrivains de l’Action française était une oeuvre purement scientifique, une oeuvre de pensée, dégagée de tous préjugés. Le terrain sur lequel ils étaient unis, était celui du nationalisme. Mais le nationalisme sentimental, qui est encore aujourd’hui celui de la Patrie française, se traduit dans les réunions politiques en des discours sonores et vides…

Or, ce que voulaient Vaugeois et ses collaborateurs, c’était un nationalisme qui pût s’enseigner, se démontrer. Le sentiment nationaliste de l’Action française tendait donc à se constituer en un corps de doctrine, mais pour y parvenir, les écrivains de l’Action française précisèrent une méthode admirablement exprimée dans cette déclaration dont il faut peser tous les termes :

« L’Action française s’adresse au nationalisme quand il est conscient, réfléchi et rationnel.  Un vrai nationaliste place la patrie avant tout. Il conçoit donc, il traite, il résout toutes les questions politiques pendantes, dans leur rapport avec l’intérêt national.

Avec l’intérêt national et non avec ses caprices de sentiment. Avec l’intérêt national et non avec ses goûts ou ses dégoûts, ses penchants ou ses répugnances.  Avec l’intérêt national et non avec sa paresse d’esprit, ou ses calculs privés, ou ses intérêts personnels. »

La méthode étant connue, avant de passer outre, arrêtons-nous un instant à considérer la personnalité, l’individualité des premiers collaborateurs de l’Action française. Leurs opinions, aussi bien philosophiques que politiques, présentaient une extrême diversité. On comptait parmi eux des libres-penseurs, des positivistes, des républicains purs ou des césariens, un seul royaliste : Charles Maurras.

Henri Vaugeois, fondateur de l’Action française, était professeur de philosophie au collège de Coulommiers, au moment où l’affaire Dreyfus éclata ; il était de plus secrétaire du Bulletin de l’Union de l’Action morale, revue fondée par M. Paul Desjardins, pour la conversion des Français au moralisme libéral et protestant. Lucien Moreau, ancien collaborateur de la Revue Encyclopédique Larousse est d’origine radicale. Il s’était trouvé à la sortie de la Sorbonne en plein courant d’idées anarchistes. Léon de Montesquiou lui-même, porteur d’un grand nom de l’aristocratie française, était  républicain, fortement imbu d’idées libérales. Louis Dimier, professeur au lycée de Valenciennes, catholique pratiquant et militant, a dû donner sa démission pour sauvegarder son indépendance ; il  croyait à la possibilité d’organiser la République pour la rendre habitable. Tels étaient d’abord avec Jacques Bainville, Jean Rivain, Robert Launay, les écrivains les plus habituels de la revue l’Action  française…

Ils reconnurent tout d’abord le principe anarchique des utopies de J.-J. Rousseau qui organise de toutes pièces le gouvernement populaire. Si la souveraineté réside tout entière dans le peuple  et se manifeste par des citoyens, on peut dire adieu aux libertés des villes, des provinces, aux franchises des organisations particulières. L’Etat populaire devient seul maître, il intervient légitimement pour tout réglementer, il empêche toute organisation spontanée, tout doit s’incliner devant la loi de la majorité. L’Etat absorbe tout, mais sa nature est essentiellement anarchique, car il manque de permanence, de fixité, de responsabilité, il est mobile comme l’opinion, il est à la merci des partis organisés qui forment l’opinion, il est instable, et par conséquent manque d’esprit de suite. Il ne peut donc être que faible vis-à-vis de l’étranger, et tyrannique à l’intérieur, parce qu’il émane d’une majorité dominant une minorité ; il est centralisateur, car les libertés locales ne peuvent tenir devant le principe de la souveraineté de la nation. Bien plus, l’Etat républicain ne peut pas décentraliser, parce qu’il ne représente jamais la nation, mais un parti, et que le parti au pouvoir a intérêt à resserrer les liens administratifs pour agir sur le corps électoral, afin de conserver le pouvoir.

Les variations des ministères successifs au cours de l’affaire Dreyfus, la politique étrangère sans direction certaine semblèrent aux écrivains de l’Action française le produit naturel des institutions républicaines, mais malgré ces constatations ils restaient républicains… Mais la méthode que s’était fixée l’Action française : étudier dans les faits, c’est-à-dire d’une manière positive, les causes de notre décadence, et chercher toujours dans les faits le remède en faisant abstraction de toute idée préconçue, allait pousser Vaugeois, comme malgré lui, vers la monarchie. Les déclarations de M. de Lur-Salucès le frappèrent vivement ; il compara la mobilité du gouvernement populaire irresponsable et la stabilité de la forme monarchique où il existe un organe de l’intérêt général.

L’intérêt de la dynastie se confond nécessairement avec l’intérêt de la nation : la France n’est-elle pas l’oeuvre de la Maison Capétienne ? Le roi est supérieur aux partis, il assure dans le gouvernement la continuité des desseins politiques…

Je ne puis qu’indiquer d’une manière très brève, cette période de tâtonnements de l’Action française. Elle est extrêmement intéressante par le nombre d’idées qui y furent remuées. Chacun cherche sa voie, lutte contre ses préjugés, contre une éducation anarchique reçue dans l’Université, mais tous s’orientent insensiblement vers la monarchie…

Sur ces entrefaites, Maurras partit pour Bruxelles et demanda aux exilés royalistes de préciser cette doctrine. En des entretiens qui sont devenus fameux sous le titre : « Enquête sur la monarchie », ils résumèrent la conception royale du comte de Chambord, du comte de Paris, du duc d’Orléans, qu’on peut condenser en quelques phrases : Liberté civile et administrative, ferme autorité politique. — L’Etat est maître des affaires de l’Etat ; les associations locales, professionnelles, confessionnelles, sont maîtresses de leurs affaires particulières. — De libres communes, de libres provinces, réduites à leur rôle de représentants, c’est-à-dire de contrôleuses ; un Etat le plus fort possible, c’est-à-dire pourvu d’un chef héréditaire. Maurras, à la suite de Louis Veuillot, caractérisa d’un mot ce régime : Le Roi de France, Protecteur des Républiques françaises.

C’était exprimer avec pittoresque : la force et la continuité de l’Etat français, la liberté d’organisation des énergies nationales, la ferme autorité du roi qui règne, arbitre et modérateur suprême, indépendant des partis, supérieur aux intérêts particuliers, chef conscient et armé de l’intérêt général vis-à-vis de l’étranger.

Le duc d’Orléans, dans ce style simple, clair et d’une énergique concision dont il a le secret, confirma les paroles de MM. Buffet et de Lur-Saluces.

Maurras revint de Bruxelles et posa à ses amis la question : oui ou non, l’institution d’une monarchie traditionnelle, héréditaire, antiparlementaire et décentralisée, est-elle de salut public ?

Des réponses vinrent de tous côtés, les objections ne manquèrent pas et Maurras n’en laissa subsister aucune réplique…

Vaugeois ne tarda pas à comprendre que si la monarchie lui semblait le seul gouvernement raisonnable et la république une forme de l’anarchie, l’intérêt du pays réclamait impérieusement l’adhésion de sa volonté à la doctrine monarchique, et qu’il devait, lui, membre de l’élite intellectuelle, se compter le premier pour former le nombre des dix apôtres jugés par lui indispensables. Il est inutile d’insister davantage et de suivre l’évolution des autres écrivains de l’Action française. En 1903, ils étaient tous monarchistes, et la Revue qui avait consigné leurs discussions et toutes les hésitations de leur pensée à la recherche de la vérité devenait un organe de doctrine royaliste.

L’éducation première de ces écrivains, leur origine, leur tournure d’esprit, apportèrent comme un regain de jeunesse à l’idée monarchique. Ils surent trouver des arguments nouveaux, chercher des maîtres là où les anciens royalistes n’avaient pas songé à en trouver. Ils invoquèrent contre la République les témoignages de Taine, d’Auguste Comte, de Balzac, de Renan, et montrèrent la concordance de leurs conclusions politiques avec celles de Bonald, de J. de Maistre, de Le Play. Ils eurent toutes les hardiesses et aussi le succès, parce qu’ils eurent un sens très pratique, très positif, de la réalité. La conception monarchique passait pour une belle utopie, construite en l’air ; ils démontrèrent, au contraire, que seul, le régime monarchique s’appliquait d’une manière adéquate à cette réalité tangible qui se nomme la France.

L’évolution de l’action française fut un événement dans le monde intellectuel. Barrés parlant de la Revue d’Action française, a trouvé le mot juste : c’est un chantier d’idées. Jules Lemaître a consacré à ce mouvement une série d’articles qu’il intitula : Un nouvel étal d’esprit, et, pressé naguère de se prononcer et de conclure, il déclara « n’attendre plus rien que d’un changement de régime ». Il n’est donc pas très loin de rejoindre l’Action française dans son ralliement, il lui suffirait, au lieu de faire appel à un nouveau régime indéterminé, de désigner nettement la monarchie. Paul Bourget avait précédé l’Action française dans son évolution, mais il avait passé par les mêmes chemins et, circonstance frappante que je ne puis omettre devant vous, il est passé de plain-pied de la Monarchie au Catholicisme.

J’ai dit que, à l’Action française, lorsqu’elle se fonda, toutes les nuances de l’opinion républicaine se trouvaient représentées, j’ajoutais aussi que la variété des opinions religieuses y régnait. Il y a  à l’Action française des catholiques pratiquants et des non-catholiques. Mais, chose digne d’admiration ! en ce lieu national, commun à tous les Français, qui se nomme la doctrine monarchiste, des radicaux d’origine et des royalistes de tradition se sont rencontrés, mus  par le même sentiment, la même volonté de restaurer la patrie, et les uns et les autres, pour des raisons différentes, mais également fortes, concluent à la nécessité de recatholiciser la France. Ils partagent la même admiration « pour ce temple de l’ordre, de la hiérarchie, de l’autorité, qui se nomme l’Eglise Catholique ». Quelle que soit leur origine, tous les écrivains de l’Action française enseignent que la France est et ne peut être qu’une nation catholique et non pas catholique gallicane, mais romaine. Vraiment, n’est-ce pas l’idée royaliste qui est l’idée nationale, puisque c’est vers elle que convergent les esprits les plus opposés comme les rayons qui, tracés de la circonférence, s’unissent en un centre commun ?…

La crise que traverse la France n’est pas seulement religieuse ou sociale, ou économique, ou militaire, ou diplomatique, elle est tout cela et encore autre chose, elle est nationale. Il s’agit de savoir si la France restera la France, c’est-à-dire une grande nation catholique puissante et sagement ordonnée. Depuis que nous sommes en République, que les principes révolutionnaires peuvent agir sans être contrariés, nous descendons progressivement vers l’anarchie, c’est- à-dire vers la barbarie. Il n’est pas un républicain, s’il est bon Français, qui refuse de se demander si vraiment la cause de cette décadence ne tient pas au vice même du régime ? Nos savants, nos artistes, nos littérateurs, nos officiers, nos commerçants ne sont pas inférieurs, à ceux de l’étranger, souvent ils leur sont très supérieurs. Ce n’est donc pas l’intelligence française qui est frappée d’impuissance, c’est le régime qui empêche le génie national de porter ses fruits naturels.

Cette question se pose avec une insistance douloureuse pour tous les esprits sincères et indépendants.

Le travail de pénétration de ces idées a été tel, qu’au début de 1905, une Ligue de propagande et d’enseignement s’est formée comme spontanément.  Dans plus de trente départements , des organisations ont surgi dans tous les milieux, étudiants, hommes du monde, séminaristes, prolétaires, je crois même que, tout compte fait, les groupes purement ouvriers sont les plus nombreux.

La vie de l’Action française s’est encore manifestée par la fondation d’un Institut d’enseignement supérieur contre-révolutionnaire. Parmi les membres du comité de patronage de cet institut, je relève seulement les noms de Dom Besse, Léon Daudet, G. Fagniez, de l’Institut, Paul Bourget, de l’Académie française, marquis de la Tour-du-Pin, marquis de Rosambo, comte B. de Vesins, ce courageux catholique pratiquant et militant, président du groupé de Versailles, condamné à deux ans de prison sans sursis, pour délit de défense d’église.

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