30 Janvier 1793 : mort du Colonel Armand
Armand-Charles Tuffin, Marquis de la Rouërie, naquit le 13 avril 1751 en l’Hôtel de la Belinaie à Fougères. Aîné d’une famille de quatre enfants, il eut le malheur de voir son père rendre son âme à Dieu au début de l’année 1754, tout juste âgé de 3 ans. Rapidement, il se destina à une carrière militaire, et reçut à cet effet, des cours par un maître d’armes et d’équitation. A l’âge de quinze ans, il put rejoindre le corps prestigieux des Gardes Militaires, basé près de Versailles et de son château royal.
La vie versaillaise, mondaine et propice aux écarts de conduite, ennuya profondément le Marquis de la Rouërie. Querelleur, il n’hésita pas à risquer sa vie dans quelques duels inutiles, comme celui qu’il fit avec le comte de Bourbon Busset, pourtant ami d’enfance du Roi. Armand de la Rouërie blessa assez gravement le comte pendant ce duel, et suite à la colère du Roi qui s’en est suivi, dût repartir sur ses terres en Bretagne en démissionnant du corps des Gardes Militaires.
De retour à Saint Ouen la Rouërie en 1776, âgé de 25 ans, Armand de la Rouërie n’eut pas le temps de se réinstaller. Aux USA, la guerre d’indépendance se préparait. De nombreux évènements secouaient le pays et les loges maçonniques bretonnes, fidèles amies des loges maçonniques américaines, étaient tenues régulièrement au courant des évolutions. C’est ainsi qu’au début de l’année 1777, le marquis de la Rouërie s’embarqua sur un navire américain accompagné d’un unique serviteur.
Tout juste arrivé à Philadelphie après moult péripéties, le Marquis de la Rouërie obtint une audience au Congrès afin de proposer son épée au service de la cause, au sein de l’armée continentale. Il déclara qu’il ne voulait pas se battre sous le nom de la Rouërie, ni sous son titre, mais juste garder son nom de baptême : il combattit donc sous le nom de Charles Armand, qui deviendra par la suite le Colonel Armand. Georges Washington écrivit alors de lui : « Il m’apparaît comme un jeune homme sensé, modeste. Je me flatte que sa conduite sera telle que nous n’aurons pas de raison de nous repentir des bonnes manières qui pourront lui être témoignées »
Il ne put prendre place au sein de l’armée continentale, faute de place de colonel, mais pût servir la cause américaine en soulevant une milice. Il se fit remarquer par de nombreux faits d’armes pendant les premières années de la guerre d’indépendance, et gagna petit à petit l’estime des généraux américains. Il put notamment former au printemps 1778 un régiment de « chasseurs libres et indépendants », forte de 452 hommes et 14 officiers, placé sous ses ordres. Il a à peine 27 ans.
Pendant les années suivantes, il prit part aux campagnes américaines, de New York en 1778 à la Bataille de Calden de 1780. Mais l’un de ses plus grands faits d’armes reste la bataille de Yorktown, qui se solda par la reddition du général anglais Cornwallis. Il montra pendant cette bataille tant d’ardeur et de pugnacité que le général français La Fayette, qui commandait les troupes françaises, écrira de lui :
« M. de la Rouërie est arrivé ici quelque temps avant moi et y a obtenu le grade de colonel avec le commandement d’un corps indépendant. Il s’est trouvé partout et partout il s’est distingué par une bravoure vraiment française, un zèle infatigable et au dessus de toutes les difficultés, un amour violent de son métier. Il a eu des occasions heureuses. N’est-ce pas, mon cher cousin, des officiers tels qu’il vous les faut. Je suis d’autant plus sûr que vous aimerez M. le Marquis de la Rouerie que les qualités de son cœur et de son esprit ne le cèdent pas à ses qualités militaires. »
Arrivé dans les premiers aux Etats Unis, le Marquis de la Rouërie quitta la terre américaine dans les derniers. Il fut fait, par recommandation spéciale de Washington lui-même, brigadier Général en avril 1783, quelques mois avant la fin de la guerre d’indépendance des Etats unis. Au printemps 1784, il s’embarqua pour la France et quitta avec regret ces Etats Unis pour qui il avait lutté pendant près de 8 ans.
Il rentra en France et épousa le 27 Décembre 1785 Louise Caroline Guérin de Saint Brice dans la chapelle du Château de la Motte, près de Saint Ouen. Après avoir essayé en vain de réintégrer l’armée française, il rentra à Saint Ouen où il assista, impuissant, à la mort de son le 18 juillet 1786.
Quelques années plus tard, le marquis de la Rouërie aura l’occasion de sortir de sa retraite. Les émeutes commencèrent en Bretagne dès la fin de l’année 1788, et pendant le mois de décembre, les Etats Généraux de Bretagne furent convoqués. Essayant de calmer les ardeurs et les mécontentements populaires, le marquis de la Rouërie s’exprima devant les étudiants de l’école de Droit.
Armand de la Rouërie était un monarchiste libérale, proche des idées d’Edmund Burke, dont l’ouvrage le plus célèbre reste sans nul doute Réflexions sur la Révolution Française. La Rouërie n’accepta pas que les droits et coutumes propres à la Bretagne soient abolis pendant la Nuit du 4 Août. Comme il le dira plus tard : « Bretons ! Vous devez recouvrer vos anciennes franchises et vos anciens droits, rempart de votre liberté ».
Refusant les exactions révolutionnaires, s’opposant aux aberrations votées par l’Assemblée Nationale Constituante, Armand de la Rouërie chercha à mettre en place la conjuration bretonne, et obtint le soutien du Comte d’Artois, frère du Roi Louis XVI, qui était considéré comme prisonnier des révolutionnaires parisiens.
Cette conjuration bretonne pris réellement naissance en juin 1791, ayant pour objectif l’autonomie de la Bretagne et le maintien de la Monarchie Française. Contre révolutionnaire, elle put compter sur l’appui sans faille d’une population bretonne profondément déçue par la Révolution française et surtout par la Constitution Civile du Clergé. Précurseur de la future chouannerie, cette conjuration bretonne fut le creuset de tous les principaux futurs chefs chouans : Jean Chouan, Aimé du Boisguy ou Vincent de Tinténiac.
Malheureusement, le marquis de la Rouërie confia tous ses projets à un personnage qu’il considérait comme un ami fidèle et honnête : le docteur Chevetel. Celui-ci, qui s’était lié d’amitié avec Danton pendant la Révolution, trahit le marquis de la Rouërie en dévoilant à Danton au début du mois d’Octobre 1792. Celui-ci décida d’arrêter le marquis de la Rouërie et celui-ci devint alors un Hors la Loi.
Parcourant les contrées bretonnes, se cachant là où il le pouvait, il ne dormait jamais au même endroit. Infatigable conspirateur, seule la maladie put le faire s’arrêter. Le 19 Janvier 1793, pris par une pneumonie, il dut s’arrêter au château de la Guyomarais, qui appartenait à un membre de la conjuration. Gravement malade, il apprit le 24 janvier l’exécution de son Roi. Comme une épée de Damoclès tombant sur lui, il fut alors pris de folie, et pendant 6 jours, agonisa…
Le Marquis de la Rouërie rendit son âme à Dieu le 30 Janvier 1793, vers 5 heures du matin. Il fut enterré dans le bois du château, entouré de ses amis et de son serviteur Saint Pierre.
Malheureusement, la folie révolutionnaire était aux aguets. C’est ainsi que Chevetel, l’odieux traître, apprenant l’endroit de la sépulture de la Rouërie, envoya 15 hommes décapiter le cadavre du Marquis. Lalligand, le chef républicain qui se chargea de cette macabre demande, présenta la tête à Mr de la Guyomarais pour qu’il identifie le Marquis de la Rouërie. Celui-ci lui répondit :
« Soit, il n’y a plus à nier. Voilà bien la noble tête de l’homme qui si longtemps vous a fait trembler »
Le corps du marquis fut remis en terre, et la tête, récupérée en 1877, fut rendue à la famille des Guyomarais. On peut aujourd’hui voir la tombe du Marquis de la Rouërie dans le bois du château, près de l’endroit où il fut enterré pour la première fois.