Politique

Le mythe des deux ans

Le mythe des deux ans« C’est garanti deux ans, mais prenez l’extension de cinq ans : 49 euros, ça vous coûtera moins que le remplacement des piles… » Il est très persuasif et sympathique, le vendeur qui me promet “pas de souci” pour mon nouvel appareil photo. Or voilà que je m’entends lui dire : « Deux ans plus cinq, ça fait sept ans… Vous croyez que Darty existera encore ? » Il pâlit : « Ah, quand même… », et je m’en veux de l’avoir rendu triste.

Qu’est-ce qui m’a pris ? Jamais auparavant je ne m’étais posé ce genre de question sur la survie des distributeurs d’électroménager ou des fabricants d’automobiles. Nous vivions dans un monde où l’espérance de vie des firmes qui nous étaient familières était bien supérieure à celle de leurs clients. Mais depuis que Peugeot a plongé, nous savons qu’elles sont toutes mortelles.

Même Giscard, l’immuable ancien président, 86 ans, de bonne race auvergnate comme sa mère, May (qui disait “notre Clermont”), liquide son fonds. Tout était à vendre – et tout est parti, jusqu’aux assiettes de faïence ébréchées de Clermont-Ferrand ! – dans le château de la Varvasse à Chanonat (Puy-de-Dôme) acheté par son père Edmond en 1933.

Je me souviens de ma visite au vaincu de 1981, alors qu’il espérait encore revenir au pouvoir en repartant de la base comme simple conseiller général. L’arrivée était impressionnante. Silhouette massive de la forteresse au milieu des blés immobiles. Escalier de pierre où des armures montaient la garde. Tour d’angle imposante où l’intellectuel Giscard méditait sur l’histoire de France et l’ingratitude des peuples. Nous allions partir pour une tournée des éleveurs de bovins. Pour “M. le Président”, des fermières empressées sortiraient, de gros buffets luisants surmontés de photos de mariage, leurs tasses des grands jours en porcelaine à filet d’or. Giscard parlerait cours du veau et du lait, avenir européen, et demanderait soudain : « Auriez-vous des oeufs ? Une omelette… » Grand émoi à la ferme…

François Hollande lui aussi voulut, comme Pompidou, Giscard et Chirac, “s’inscrire dans un territoire”. Il y a un an tout juste, à la veille de primaires socialistes dont il apparaissait comme le favori, j’accompagnais le président du conseil général de Corrèze jusqu’en Dordogne où il devait assister à un concours de race bovine. Avant d’aller admirer, les pieds dans la paille, les langoureuses blondes d’Aquitaine et les taureaux Éros et Champion, nous faisions halte dans une salle des fêtes villageoise où l’attendaient une centaine de solides militants à blouson et casquette. « Rendez-vous compte de tout ce qui nous attend ! plaisantait le candidat : la dette record, le trou de la Sécu… Alors, pourquoi venir au pouvoir ? »

Il savait que ce serait dur. Ce qu’il n’avait pas mesuré, c’était cette formidable accélération du temps, qui nous donne l’impression d’être arrachés à nos racines et jetés comme des fétus dans le grand fleuve intranquille de la mondialisation. Alors, comme il faut bien nous rassurer – et se rassurer lui-même – , le président de la République se fixe un agenda. Dans deux ans, nous dit-il, les mesures de désendettement devraient produire leur effet, et la croissance revenir tout naturellement par l’action d’une sorte de principe d’Archimède.

Pourquoi deux ans ? Sans doute parce que deux ans de sacrifices, c’est moins désespérant que cinq. Nous n’y croyons pas, bien entendu. Nous savons bien que tous les plans de rigueur, de Pierre Laval à Alain Juppé en passant par Giscard et Raymond Barre, ont entraîné une stagnation. Mais le tout est de gagner du temps, en engrangeant quelques succès politiques.

Le vote du traité européen par une écrasante majorité de gauche et avec l’appui du “oui” des rivaux UMP Jean-François Copé et François Fillon devrait en être un. Échaudé par le “non” de la France et de la Corrèze au référendum européen de 2005 (l’année où il posait pour la une de Paris Match comme un frère jumeau du chef de l’UMP, Nicolas Sarkozy), Hollande a manoeuvré habilement : en faisant entrer au gouvernement d’anciens adversaires “nonistes” comme Laurent Fabius ; en laissant Jean-Marc Ayrault jouer le rôle du “fusible” confronté aux états d’âme de la Verte Cécile Duflot et du socialiste Benoît Hamon ; et surtout, en jouant sur la peur du plongeon dans le vide.

Deux ans sous la férule d’Angela Merkel (qui n’est d’ailleurs pas sûre d’être réélue l’an prochain), cela ne vaut-il pas mieux qu’une éternité hors de l’Union européenne, de ses subventions et de ses banques ? Même au FN, on le murmure : Marine n’aurait pas dû annoncer qu’elle voulait sortir de l’euro, mais se contenter de prédire son explosion. Même Jean-Luc Mélenchon, avec tous ses drapeaux rouges, n’a pas su convaincre, encore moins rassurer. Alors, deux ans de Hollande-Ayrault, puis deux ans de Hollande-Valls…

Source : Valeurs Actuelles

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