Charles Maurras, la Contre-Révolution pour héritage
Tony Kunter, né en 1983, a soutenu, en 2007, un master en histoire des idées politiques (ce qu’on appelait jadis un mémoire de maîtrise), à l’Université de Toulouse II le Mirail. Ce travail universitaire, consacré à Charles Maurras et à deux illustres représentants de la pensée contre-révolutionnaire au XIXe siècle : Louis de Bonald et Joseph de Maistre, fait l’objet d’un livre édité par une maison qui s’est illustrée par l’édition d’ouvrages de Maurras et d’auteurs maurrassiens et de plusieurs livres consacrés à l’histoire de l’Action Française [1].
Le vrai paradoxe est dans l’intention même du livre. L’auteur se défend d’avoir voulu rédiger un essai de philosophie politique. Il se veut épistémologue, dit vouloir s’être limité à « étudier la manière dont Charles Maurras a interprété les auteurs contre-révolutionnaires, en particulier Bonald et Maistre » (p.18).
Et pourtant, Tony Kunter n’est pas un chercheur éloigné de son objet d’étude. Son travail universitaire est aussi un livre de combat politique. Il collabore depuis plusieurs années à Action Française 2000. Dans son livre, il fait des références, inattendues et saugrenues, à l’actualité politicienne la plus immédiate : l’UMP, Bayrou, Alain Soral, Le Pen (p. 19, p. 203). Et surtout, il conclut son étude en appelant de ses vœux une nouvelle philosophie politique. On voit mal d’ailleurs la cohérence qu’elle pourrait avoir puisqu’elle rejetterait « le système argumentatif maurrassien », devenu « inopérant », selon l’auteur, tout en initiant « un néomaurrassisme qui, certainement, n’aurait plus grand chose à avoir avec l’Action française historique » (p. 203).
Une thèse simpliste
Ce mémoire de master devenu un livre n’hésite pas à recourir à des formules balourdes, indignes d’un historien : après le voyage de Grèce, la monarchie serait devenue, pour Maurras, « le système le plus rentable » (p. 136). Ailleurs, Maurras est décrit comme « se rangeant derrière le comtisme » (p. 195), ou souhaitant « ”royaliser” les esprits en faisant de la publicité pour la monarchie » (p. 195).
Ce mémoire de master devenu un livre n’hésite pas à recourir à des formules balourdes, indignes d’un historien : après le voyage de Grèce, la monarchie serait devenue, pour Maurras, « le système le plus rentable » (p. 136). Ailleurs, Maurras est décrit comme « se rangeant derrière le comtisme » (p. 195), ou souhaitant « ”royaliser” les esprits en faisant de la publicité pour la monarchie » (p. 195).
Aux maladresses de style, Kunter ajoute une maîtrise incomplète des sources. Signalons, par exemple, l’article « Deux théoriciens de la Contre-Révolution », paru dans L’Action Française, le 1er juin 1904, p. 399-401. Kunter aurait pu le lire avec profit.
Si l’on en vient au fond de l’étude de Tony Kunter, on peut la résumer en quelques lignes. À l’égard de l’œuvre des deux plus illustres auteurs contre-révolutionnaires du XIXe siècle, Maistre et Bonald, Maurras aurait mené une opération, consciente, de « captation », d’ « instrumentalisation », de « récupération », de « reformatage », les mots sont répétés des dizaines de fois tout au long de l’ouvrage. Tony Kunter, pour donner une allure savante à son étude, se réfère aux travaux de Quentin Skinner, un des chefs de file du « contextualisme ».
Le contextualisme est une méthodologie historique, appliquée à l’histoire des idées politiques, qui consiste à scruter non pas tant les textes eux-mêmes que le contexte dans lequel ils ont été écrits et quelles étaient les intentions de leur auteur. Skinner a formulé ainsi les questions auxquelles aurait à répondre l’historien des idées : « qu’est-ce que l’auteur en écrivant à l’époque où il écrivait et compte tenu du public auquel il souhaitait s’adresser, pouvait, concrètement, avoir l’intention de communiquer en énonçant ce qu’il énonçait ? ».
Tony Kunter recourt à cette méthodologie historique, mais il le fait sans finesse. À défaut d’une démonstration convaincante, il multiplie les concepts synonymes, comme nous l’avons vu. Ce n’est pas d’abord une réflexion intellectuelle qui aurait conduit Maurras à cette « captation » d’héritage, mais la recherche d’une clientèle. Tony Kunter nous le répète, dans des formules simplistes ou grossières, selon les cas. Il martèle cette idée tout au long de son ouvrage : « l’imbrication du royalisme et du nationalisme devait permettre de rameuter les militants » (p. 187), Maurras « comprend que chaque référence correspond à un public, qu’il convient de récupérer au sein de l’entreprise d’Action française » (p. 194). Et encore : « différentes facettes des théocrates, véritables masques qu’emprunte Maurras et qu’il a lui-même modelés pour séduire des publics proches de ces autorités contre-révolutinnaires » (p. 194), « sa lecture du rouergat est toutefois négligeable, son ambition étant avant tout de s’approprier une figure emblématique de la Contre-Révolution » (p. 195).