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[Texte de Référence] Le Bien de tous, par Charles Maurras

Charles Maurras
Charles Maurras

Nous sommes nationalistes : par conséquent préoccupés de la santé, de la vigueur de nos éléments sociaux. Nous sommes royalistes et par consé­quent syndicaux : le roi est le président-né de toutes les républiques professionnelles ou locales dont se compose la nation. Enfin, sachant un peu d’histoire et de géographie, nous servant aussi de nos yeux, nous ne pouvons nous empêcher de voir ce qui est : il va falloir régler la question ouvrière ou retomber dans une complète barbarie.

Nos opinions ont été claires dès notre premier mot. Mon collaborateur Criton en a eu la preuve par une intéressante lettre arrivée dès samedi soir  et qu’il me communique. Elle est signée d’un « abonné de L’Humanité ». Ce citoyen, qui n’a pas le cerveau perclus, a coutume d’acheter « les premiers numéros de tous les journaux paraissant », dans l’espoir, toujours déçu, déclare-t-il, d’y trouver une idée neuve. Nous aurions dû le décevoir un peu plus que les camarades, ne nous étant jamais flattés d’émettre des idées neuves et les idées justes nous suffisant.

Et (tant il est vrai qu’en cherchant la vérité et la justesse, on a le reste par surcroît) nous avons procuré au lecteur de M. Jaurès la petite secousse que recherchait sa curiosité ou son blasement. Mais réussirons-nous ? Il en doute d’abord. Puis il avoue que nous arrivons « dans un moment absolument opportun, le peuple commençant véritablement à être dégoûté de la République qui ne fait absolument rien pour lui ». Donc, sans nous approuver, tout en maugréant, et soit par acquit de conscience, soit pour céder à quelque obscur élan du désir français qui s’ignore, il poserait bien ses questions.

Elles se ramènent à une seule : — Est-ce sérieux ?

Quelle méfiance excellente ! En temps normal, le plus mol oreiller de l’esprit, c’est la foi. La foi est l’instrument naturel d’une bonne vie. Mais, quand on est en république, rien n’est plus naturel, ni normal, tout s’invertit. C’est le doute au contraire qu’il faut recommander à un peuple obsédé par les républicains. Doute, bon peuple ! Doute, tu ne peux rien faire de mieux en écoutant la promesse des imposteurs. Doute, même de nous. Tu ne nous connais pas. Tu ne connais pas notre Roi. Tu ne sais pas que nous sommes Toi, c’est-à-dire ta condition, ta fortune, ton avenir, ton salut même. Doute. Tu te rendras à l’évidence quand il faudra. Mieux vaut commencer par douter que t’exposer à prendre un blagologue à la Viviani pour quelqu’un de sérieux ou pour un ami vrai quelque Briand numéro deux.

Notre correspondant demande donc avec un hochement incrédule si, « par le plus grand des hasards », notre roi serait « le digne successeur d’Henri IV ». Nous répondons que le « hasard de la naissance » fait de ces coups. Mais ce roi voudrait-il « s’intéresser au peuple, s’inquiéter de ses souffrances et de ses besoins, mettre en œuvre les moyens de satisfaire ses aspirations légitimes » ? Nous répondons qu’à cet égard, ce n’est pas la volonté du roi qui est en faute, c’est l’information du citoyen qui s’adresse à nous. Le roi s’est enquis des besoins du peuple, il a écrit ce qu’il en pense, on peut lire les lettres qu’il a publié cet automne à la Librairie nationale. Dix fois, cent fois, le roi a promis son « appui » au peuple. Notre correspondant en est encore à le demander !

Qu’il se renseigne un peu ! Notre jeune ami Georges Valois publie son enquête sur « la révolution sociale ou le roi », et, par l’énoncé même de sa question, il montre que, pour nous (pour nous tous qui savons que la société se compose de familles, de groupes, d’organisations et non d’individus), il y a plus qu’un droit syndical, il existe un devoir de fraternité syndicale. Quand l’abonné de L’Humanité sera au courant, il pourra comparer à ce programme si complet les vœux et les doléances que sa lettre nous exposait ; alors, en connaissance de cause, il prononcera.

Quelles sont ses demandes ? La poule au pot lui paraissant un trop grand rêve, notre correspondant déclare qu’on se contenterait « d’un menu comme celui que le docteur Landouzy a déclaré indispensable à l’entretien de la machine humaine » : « on se vêtirait proprement, on habiterait dans des logements hygiéniques et on laisserait à l’ouvrier économe la possibilité de se constituer une propriété individuelle. » Puis, salaire ne tombant pas au dessous d’un certain minimum, travail n’excédant pas un certain maximum ; assurance contre les risques de chômage et de maladie, retraites en cas d’invalidité et de vieillesse… »

Cet « en cas de vieillesse » paraîtra au lecteur attentif une note d’une intense mélancolie. Notre correspondant sait que les prolétaires appartiennent à un monde

…où l’on ne vit guère
Plusieurs fois vingt ans

Cette mélancolie est sans doute ce qui le rend inique à notre égard : il nous soupçonne de considérer les réformes qu’il énumère comme autant d’« abomi­nations ». Eh ! bien, citoyen, non. Mais alors, dit-il, placez votre programme social comme manchette permanente « en tête de votre journal ». Non plus.

Citoyen, nous faisons consister notre dignité à publier la vérité sans charlatanisme. Nous n’avons pas envie d’être pris pour des démocrates. Leurs bas procédés, qui nous humilieraient, ne seraient pas moins injurieux pour vous, honnête homme, et qui nous parlez dans votre lettre de la « patrie ».

Vers le milieu du siècle, lorsque l’idée républicaine était semée par les agents de  l’étranger pour nous affaiblir et nous appauvrir, un chansonnier provençal faisait ainsi parler un vaurien fainéant et glouton des quais de Marseille : « Aujourd’hui chacun fait de la politique. Je ne m’en mêle pas, je n’y comprends rien. Mais si, en faisant la République, le pauvre avait toujours de l’argent ; si, sans travailler, il avait toute l’année bon vin, bon lit, bon ragoût, bon pain blanc, je dirais vite : — Donnez-moi un fusil, écrasons les rois, t… de D…, et que la République dure, je suis le premier de ses ruffians. » La République est faite. Elle a trompé jusqu’aux fainéants qui ont pris le fusil pour elle. Nous appelons aussi aux armes, mais non les fainéants : les bons travailleurs. Nous ne pouvons pas les appeler au nom d’un intérêt particulier. Notre appel ne se justifie qu’au nom d’un intérêt supérieur à tous, où chacun du reste a sa part, eux comme nous, nous autant qu’eux : l’intérêt du travail, l’intérêt de la société et de la nation.

La nation passe avant tous les groupes de la nation. La défense du tout s’impose d’abord aux parties. Voilà le principe évident. Nos amis Vaugeois et Daudet, comme le maître illustre qui a bien voulu appuyer notre effort nouveau, auraient le plus grand tort de m’attribuer l’invention de ces idées simples qui sont à la portée de tout homme sensé, réfléchissant un peu sur l’état de la France. Elles sont dignes de M. de la Palisse. Elles n’en sont pas moins la formule du bien de tous.

Charles Maurras via Maurras.net

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