Un exemple à suivre : Pierre Juhel (9 août 1910-26 juillet 1980)
Il y a presque 33 ans s’éteignait Pierre Juhel, figure emblématique de l’Action Française et, plus tard, de la Restauration Nationale. Voici ce qu’écrivait Michel Fromentoux, dans le numéro 2798 de l’AF 2000 :
Quand je suis arrivé à l’AF en 1972, je me suis dit que j’avais une chance inouïe, celle bien sûr d’accomplir une tâche qui me plaisait au service d’idées qui m’étaient chères, mais celle aussi de travailler auprès de deux hommes inébranlables, deux rocs de certitudes, deux âmes vibrantes de patriotisme. Pierre Juhel était alors le secrétaire général de la Restauration nationale, Pierre Pujo le directeur d’Aspects de la France, et l’étroite collaboration entre les deux hommes suscitait des dévouements en chaîne. Même après qu’ils nous ont quittés tous les deux, Pierre Juhel le 26 juillet 1980 et Pierre Pujo le 10 novembre 2007, évoquer le souvenir de l’un d’eux est toujours le moyen de nous retremper dans leur exemple et de montrer aux plus jeunes ce que sont des vies d’Action française.
Camelot du roi
Pierre Juhel naquit le 9 août 1910 à Paris dans une famille de vieille souche bretonne. Dès l’enfance, il fut fasciné par les récits de camelots de Roi. Le 24 janvier 1923 – il n’avait que treize ans – il sentit naître en lui son âme de militant lors des obsèques de Marius Plateau, chef des camelots du Roi lâchement assassiné par un anarchiste. Dès lors son chemin était tracé ; il serait camelot du Roi – donc disponible en permanence pour les grandes causes nationales.
On ne tarda pas à le voir sur les plus difficiles points de vente du journal. En 1926, la célébration de la fête de Jeanne d’Arc ayant été une fois de plus interdite par la République, des bagarres s’ensuivirent et longtemps le jeune Pierre en porta les marques sur son visage. En 1927 il faisait partie de l’équipe qui réalisa l’extraordinaire évasion de Léon Daudet emprisonné à la Santé pour « crime de paternité ».
On le vit dans les années trente au premier rang des combattants pour l’honneur de la France. Avec Georges Calzant, il participa aux manifestations qui aboutirent au 6 février 1934. Les coups ne lui faisaient pas peur ; il devint un habitué de postes de police et de maint hôpital… Rien ne parvenait à le faire reculer. En 1938, Paul Reynaud, alors garde des Sceaux, poussait à déclarer à l’Allemagne une guerre que nous n’étions pas prêts à conduire. L’Action française approuva alors sagement les accords de Munich qui donnaient au moins à la France un délai pour rattraper son retard en matière d’armement. Le jour de la cérémonie de rentrée des tribunaux, Paul Reynaud fut vigoureusement apostrophé et traité de « rat pesteux » ; l’auteur de l’interpellation était Pierre Juhel.
Vint la guerre. Il n’était pas mobilisable étant père de déjà quatre enfants (il allait en avoir dix), mais il mit un point d’honneur à être engagé volontaire. Il combattit à la frontière luxembourgeoise en mai 1940 ; le 21 juin, il était fait prisonnier.
Courage et abnégation
Libéré en vertu des accords Darlan touchant le sort des chefs de famille, il fut nommé directeur d’un centre de formation professionnelle dans le quartier de la Bastille. Occasion pour lui de révéler ses qualités de courage et d’abnégation, car il s’occupa non seulement de veiller à l’instruction de ces jeunes gens mais de former les plus âgés d’entre eux à des tâches d’assistance lors de l’accueil des trains sanitaires ramenant les prisonniers blessés. Lors de la fameuse rafle du Vel d’Hiv, les 16 et 17 juillet 1942, alors que plusieurs milliers de juifs étaient parqués, sans pouvoir bouger, le Secours national, autorisé à installer quelques cuisines, demanda à Pierre Juhel et à ses jeunes gens d’aider à la distribution de la nourriture. Tâche de charité courageuse, d’autant plus que, bravant les interdictions allemandes, il incita ses collaborateurs à faciliter les communications entre les juifs « parqués » et les membres de leurs familles ayant échappé à la rafle. C’était cela, la résistance, celle qui ne faisait pas de bruit mais agissait tout simplement. En 1945, la Croix-Rouge confia à Pierre Juhel la direction d’un des deux corps de rapatriement con-stitués pour venir en aide aux prisonniers et déportés libérés par l’avance alliée. Dans toute la zone américaine, anglaise et française, il installa des postes de secours routiers et des équipes d’intervention ; outre la distribution de vêtements, la désinfection, les soins aux malades, il eut à s’occuper d’ensevelir décemment ceux qui étaient morts de typhus en cours de route.
La guerre était finie mais, hélas, pas la guerre entre Français. La tâche restait gigantesque pour rendre à la France son unité et sa dignité. En 1947 avait été créé Aspects de la France par Georges Calzant : Charles Maurras et Maurice Pujo avaient tout de suite reconnu dans ce titre conservant le A et le F le successeur du quotidien L’Action Française (fondé en 1908), investi de la même mission de critique des hommes, des idées et des faits. Lorsqu’en 1950, avec l’accord de Charles Maurras, Maurice Pujo et Georges Calzant demandèrent à Pierre Juhel de reconstituer le mouvement d’Action française, il donna une nouvelle impulsion aux Amis d’Aspects de la France.
Ceux-ci firent le coup de poing dès 1951 pour imposer le cortège de Jeanne d’Arc, et luttèrent sans relâche dans la rue en 1953 et 1954 contre la Communauté européenne de Défense. Dès 1955, les Amis d’Aspects de la France devinrent la Restauration nationale à laquelle Pierre Juhel donna dès lors tout son temps, tout son cœur, toutes ses forces.
Il soutint toutes les campagnes du journal, notamment le combat pour l’Algérie française, stigmatisant les mensonges officiels, s’unissant à tous les patriotes qui se donnaient un même objectif : lutter contre la trahison. Là encore, Pierre Juhel s’illustra par son dévouement sans compter, au service des Français poursuivis et emprisonnés dans les geôles de la République pour avoir voulu défendre l’intégrité du territoire national. Plusieurs héros de l’Algérie française, dont le valeureux capitaine Sergent, lui en vouaient une reconnaissance éperdue.
C’est à l’initiative de Pierre Juhel qu’en 1962, Bernard Mallet appela Pierre Pujo à la direction d’Aspects de la France. Les deux Pierre eurent ensemble à affronter la crise de Mai 68, ripostant en tête des manifestations, réunissant jusqu’à 10 000 personnes aux Champs-Élysées, dénonçant les menées anarchistes et révolutionnaires sans ménager pour autant le pouvoir qui ne savait pas répondre aux aspirations de la jeunesse.
Un gendarme de plus
Pierre Juhel, se méfiant de toute provocation, ne cherchant jamais la bagarre pour la bagarre, se voulait un de ces « gendarmes supplémentaires » dont la fonction était de venger l’honneur français et de défendre en toute circonstance l’intérêt national, de sauver l’héritage en attendant l’héritier. Il se battait sans haine et gagna souvent l’estime de ses adversaires. ll fut aussi un « signe de contradiction » pour beaucoup plus portés à se faire une certaine idée de l’AF qu’à la servir tout simplement… J’eus l’occasion de l’admirer maintes fois comme le 18 novembre 1972 quand il fit front à une bande d’énergumènes casqués qui lapidait la foule à la sortie de la messe pour le repos de l’âme de Maurras à Saint-Germain-l’Auxerrois. Les pires circonstances le laissaient imperturbable comme lorsque le 20 mars 1976 un attentat détruisit presque entièrement nos locaux…
Journal et mouvement d’Action française
Mais il ne perdait pas de vue la mission du journal, sans lequel nos idées de salut public ne pourraient pas rayonner. Il permit à Aspects de la France de traverser des épreuves qui auraient emporté bien des publications plus fortunées que la nôtre. Pierre Pujo écrivait au lendemain de sa mort : « Nous n’avions qu’un souci : adopter la ligne de conduite la plus conforme à la pensée constante de l’AF. Je dois souligner cependant quel profit j’ai tiré des conseils, de la riche expérience et des vastes connaissances de Pierre Juhel dans ma tâche hebdomadaire. » Toujours jusqu’au soir d’un vie courageuse elle aussi, Pierre Pujo aima à dire ce qu’il devait à ce combattant sans peur et sans reproche. En 1992, Aspects de la France put reprendre le titre L’Action Française et les exemples de nos aînés ne cessent de nous accompagner aujourd’hui dans notre tâche irremplaçable.
Atteint du mal implacable qui devait l’emporter, Pierre Juhel supportait ses souffrances physiques et morales avec un grand courage, fidèle juqu’aux tout derniers moments à son poste de défenseur du bien public. Il mourut en récitant le chapelet dans une grande sérénité le samedi 26 juillet, offrant sa mort pour qu’elle serve à la cohésion et au rayonnement de l’Action française. La nouvelle de sa mort fut connue le lendemain matin au camp Maxime Real del Sarte qui se tenait cette année-là à Auffay (Seine-Maritime). Le drapeau fleurdelisé fut aussitôt mis en berne, mais, comme on le chante dans les camps : « Demain sur nos tombeaux / Les blés seront plus beaux / Formons nos lignes / Nous aurons cet été / Du vin aux vignes / Avec la royauté. »
Michel FROMENTOUX
À Nantes, un Centre Pierre Juhel s’est créé à l’initiative de quelques amis. Ce centre de documentation et d’études royalistes perpétue la mémoire de ce militant nationaliste et ne manque pas, chaque deuxième dimanche de mai, en souvenir de lui, de fleurir fidèlement la statue de sainte Jeanne d’Arc.