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Attentat de Christchurch

Classification d’une action armée asymétrique

Le 15 mars 2019, la ville de Christchurch (Nouvelle Zélande) a été le lieu d’une opération terroriste. Une des cibles de l’opération était une ancienne église reconvertie en mosquée. L’usage des modes opératoires de type asymétriques tend à devenir systémique. Il est intéressant de se pencher sur les difficultés de classification relative à un paradigme aussi « flou ».

La classification catégorielle : principes et problèmes.

Alain de Benoist, philosophe anti-libéral à livré une pensée dans son ouvrage Mémoire vive publié en 2012 :

« L’extrémisme consiste à pousser jusqu’à l’absurde même les idées les plus justes… il est réducteur, simpliste, borné. […] La radicalité est tout autre chose. Elle implique de chercher toujours à comprendre plus loin, en remontant à la racine (radix) […]. Être radical, ce n’est pas seulement refuser le compromis, c’est s’intéresser aux causes lointaines […]. La recherche des principes premiers, la méditation sur les choses ultimes font partie de la radicalité. Ce qui exige d’être intellectuellement structuré. »

A l’aune de cette réflexion initiale il faut s’interroger sur la nature du type d’acteur que Brenton Tarrant incarnait. En effet, à l’heure actuelle il existe tout un pluriversum d’acteurs de types asymétriques. Opérer le travail de la distinction entre les types d’acteurs fut la tâche de divers spécialistes en intelligence stratégique. Ce travail s’est effectué sur la base de critères arrêtés et adaptés.

Paradigmes d’élaboration des catégories : figure de l’idéal-type ou figure dynamique ?

Au delà de la masse multivalente des catégories, il faut se baser sur le principe d’élaboration de ces entités. Il se dégage deux principes, deux paradigmes, de construction de ces catégories.

Le premier consiste à établir la formule fixe de « l’idéal-type » weberien. Ce dernier représente le centre de gravité catégoriel. Il permet d’analyser le taux de correspondance (match-rate) relatif de l’acteur ou du groupe d’acteurs en fonctions de curseurs d’identification.

Le second paradigme consiste en une analyse plus dynamique. Il se base sur la notion de disruption logicielle. Cette notion sert à évaluer, non plus le taux de correspondance, mais les franchissements transcatégoriels.

Ces deux méthodes structurelles ne sont pas antagonistes, et s’avèrent même complémentaires. Cependant, la difficulté principale pour lier ces deux grands principes reste la détermination qualitative des logiques principielles. Sociologues, experts militaires et analystes civils n’utilisent pas les mêmes références pour l’approche d’un sujet. Le danger principal est de définir une quantité trop restreinte de principes d’analyses. En effet, cela tend à orienter ces derniers vers une désincarnation « a-formelle » et donc inapplicable sur le terrain.

Exemple d’une classification bi-structurelle

Une tentative de conciliation a été tentée en 2016 à travers un schéma d’analyse dans le cas du conflit ukrainien. L’axe de recherche principal fut celui de la notion de mutation. Les recherches ont démontrées que les facteurs de mutations n’étaient pas seulement pléthoriques, ils étaient surtout multiniveaux. Le résultat de cette analyse, simplifié et représenté par le schéma suivant. Il a permis de démontrer la compatibilité logicielle entre principe fixe (idéal-type) et dynamique (principe de disruption). Naturellement les critères retenus qui ont été retenus ici ne sont pas les seuls envisageables. Il est possible de pouvoir établir ce schéma sur une structure identique avec un ensemble référentiel différent. Par exemple, faire mention des notions de seuil disruptif, dualité légal-illégal, formes d’actions, implication religieuse et/ou politique…


LÉGENDE :

1 ) Le « pluriversum » d’acteurs.

Partisan : Aire des : unités infra-conflictuelles partisanes.
Révolutionnaires : Aire des : unités infra-conflictuelles révolutionnaires.
Rebelles : Aire des unités infra-conflictuelles « récalcitrantes ».
Armée : Aire des : unités infra-conflictuelles conventionnelles.
SMP : Aire des : unités extra-conflictuelles militaires privées.
Unités trans-conflictuelles « mercenaires ».

2 ) Mutations effectives.

[Flèches noires] : Vecteurs des mutations trans-catégorielles.
[Flèches rondes] : Vecteurs des mutations trans-conflictuelles.

Schéma inspiré du schéma de classification du terrorisme de Jacques Baud :
BAUD Jacques, La guerre asymétrique, ou la défaite du vainqueur, Éditions du Rocher, Monaco 2003, 210 pages. Page 146.

Il serait tentant, reprenant la formule sur la radicalité de De Benoist, d’opérer une distinction pragmatique entre extrémisme et radicalité. En effet, il est possible d’affirmer que le terrorisme est l’extrême. Les partisans, néo-partisan et autres seraient, eux, des radicaux. Il s’agirait en réalité d’un simplisme tendant à l’inanité des analyses précédentes.

La question de l’appartenance de Tarrant ne peut se poser qu’en ayant étudié le type même de sa propre nature. La disparité des référentiels et la pluralité croissante des critères de qualification ne permettent plus d’achever les analyses sur le simple rattachement catégoriel. Il est trop évident et trop simple de classifier Tarrant dans la catégorie du terrorisme.

Cependant, si l’on se réfère au schéma initial de Jacques Baud, l’on se rend compte qu’au sein de cette catégorie principale, existe de la même manière, un pluriversum de catégories relatives. Cela est valide pour toutes les catégories existantes d’acteurs asymétriques. Qui plus est, chaque catégorie principale ne se subdivise pas de la même manière. Il est impossible, et impensable, de pouvoir fonder une structure opérationnelle de toutes les catégories et sous-catégories d’acteurs asymétriques. Cela vient de la nature asymétrique de ces structures qui se fonde en puissance sur le principe de la disruption.

Pour autant, les idéaux-types ne sont pas annulés mais relativisés. S’il n’existe pas un idéal-type du « terroriste » il existe des idéaux-types de terroristes : « religieux », anarchiste, anti-spéciste, écologiste, etc,. Il faut donc veiller à ne jamais chercher un idéal-type d’une catégorie principale.

En effet, du fait de la trop grande diversité des composantes intrasystémique et du nombre important des subdivisions catégorielles, l’unicité d’un idéal-type devient vaine de par son caractère absolu. Ce qui renvoie au danger de la désincarnation et de l’a-formel susmentionnés.

Pour analyser un cas comme Tarrant, il faut partir de la base de l’acteur et de ce qui le détermine en nature. C’est-à-dire l’analyser sur la base de ses méthodes et de ses logiques fonctionnelles.

Tarrant au sein de la « tripartition » nationaliste.

Le meilleur point de départ pour l’analyse de la figure de Tarrant semble être son implication politique très marquée. Ce que Carl Schmitt nommait « la haute intensité de l’engagement politique ». Il s’agit d’un des quatre critères initiaux de définition du phénomène Partisan est ce qui caractérise au mieux Brenton Tarrant. En effet, il laisse derrière lui un manifeste de plus de soixante-dix pages orné d’un Schwarzsonne avouant un romantisme politique pour le national-socialisme.

Tarrant avait également mis en place la diffusion de cet attaque sur les réseaux sociaux. Revendications et images de l’action, rien ne différencie cet acteur asymétrique (terroriste nous le verrons) d’un autre. Qui plus est, cette nature terroriste apparaît comme logique au regard de son orientation politique. En effet, il faut rappeler que le Nationalisme, en tant que principe Politique, se distingue en trois catégories dinstinctes (brièvement simplifiées pour le besoin).

Le Nationalisme réactionnaire

La première catégorie est celle du Nationalisme Réactionnaire. Il s’agit de la première forme de Nationalisme qui rejette le système et l’organisation normative post-révolutionnaire. Fondamentalement ancré dans la realpolitik, sa téléologie porte un retour à l’Ordre Traditionnel et par des modes d’actions multiples et multiniveaux comme le consacre la formule : « Par tous les moyens, même légaux. » Ce type de nationalisme est aujourd’hui incarné en France par un un groupe comme l’Action Française et les autres mouvement visant au rejet du système libéral par un retour à un ensemble des valeurs normatives mais plus largement à un retour de l’hétéronomie politique.

Le Nationalisme systémique

La seconde catégorie est celle du Nationalisme systémique. Nationalisme le plus répandu à l’heure actuelle, il est aussi le plus visible. Cette forme de Nationalisme ne vise pas au rejet du système libéral dont il dépend désormais foncièrement et au sein duquel il évolue. Sa téléologie (idéale) est celle de la revalorisation de la chose publique (Res Publica) au service de la Nation. La réalité souligne que les tenants du nationalisme systémique ont pour objectif la conservation de leur parti politique et de leurs intérêts propres.

Si leurs aspirations à la défense de la Nation et du Peuple sont revendiquées, elles n’en restent pas moins systémiquement impossibles. En effet, compte tenu du paradigme de la globalisation et du mondialisme, la téléologie libérale consiste à abolir les deux principes Peuple et Nation pour les remplacer par l’Individu et le Monde. Le Nationalisme systémique est aujourd’hui incarné par les divers partis « patriotes » comme le Rassemblement National…

Le Nationalisme Révolutionnaire

La troisième catégorie est celle du Nationalisme Révolutionnaire. Catégorie minoritaire, politiquement confuse et mêlant divers courants : fascisme, anarchisme, parfois royalisme, elle se distingue des autres par le recours à la violence armée contre le système pour instaurer « l’Ordre Nouveau ». Pour vulgariser, il s’agit d’un croisement entre les acteurs du nationalisme réactionnaire et la doctrine marxiste de la Révolution. C’est au sein de cet ensemble que Tarrant évoluait, preuve de sa prédisposition à l’action violente. Composés sur la bases d’individualités hétéroclites, la téléologie incarnée de ce courant du Nationalisme n’est pas arrêtée, ce qui explique qu’il puisse attirer en son sein pléthore de profils distincts et parfois opposés.

Hyperterrorisme : « A l’Occident, rien de nouveau »

En réalité, Brenton Tarrant, n’est en rien une figure digne d’un intérêt tout particulier. En rien novateur, en rien disruptif vis-à-vis des logiques du terrorisme et en rien inattendu, l’opération armée de Tarrant, permet de livrer un exemple d’hyperterroriste classique et de voir quelles sont les bases logicielles de cette figure.

L’Hyperterrorisme

La notion d’hyperterrorisme est issue des travaux d’Alain de Benoist, dans son ouvrage Carl Schmitt actuel : guerre juste, paru en 2007, dans lequel De Benoist, prédit assez fidèlement la figure du terrorisme des années 2010 et suivantes. Face au « flou » sémantique et à la définition trop vague du terrorisme, De Benoist avait avancé la figure de l’hyperterrorismse caractérisé par un ensemble de critères : « violence inédite et densification des caractéristiques du combattant ».

Schmitt et Aron avaient eux aussi déjà jeté les bases d’une conceptualisation d’un nouveau genre de terrorisme, plus individuel, plus absolu (au sens latin du terme : détaché de tout lien / cadre…). En effet Aron avait donc affirmé dans Penser la guerre, Clausewitz, Tome 2 : l’âge planétaire : «Le jour où la violence individuelle, les attentats, le terrorisme indiscriminé, les bombes dans les cinémas et les trains, les prises d’otages ou les détournements d’avion ne s’organisent plus selon les ordres d’un parti en vue de la libération ou de la révolution, la parenté matérielle entre les procédés de la guérilla et deux du banditisme réapparaît en pleine lumière ».

Schmitt lui présageait de cette nouvelle ère dans La notion de politique, Théorie du Partisan.« L’individu, lui, peut donner sa vie volontairement pour la cause qu’il voudra ; c’est là, comme tout ce qui est essentiel à l’homme dans une société individualiste et libérale, une affaire tout à fait privée, c’est-à-dire relevant d’une décision libre, non contrôlée, et qui ne regarde nul autre que le sujet lui-même qui librement se décide ». Il s’agit de la préfiguration conceptuelle de la figure du terroriste actuel.

Cette figure fait l’objet d’un nombre important de mystifications dont l’explication soutenue par Schmitt et — implicitement — accordée par Alain Bauer (Qui est l’Ennemi) est simple. La société occidentale libérale et individualiste permet à l’individu de transgresser le cadre de sa (ses) structure(s) sociale(s) : religion, travail, famille, associations, État, pour s’incarner librement et pleinement dans une forme qui transgresse la radicalité totale et qui mène vers « l’extrémisme ».

Conclusion : la définition de l’Ennemi dans le cadre de la légalité

Tarrant, devenu terroriste par le principe de disruption et grâce aux logiques de l’Individualisme libéral, est avant tout un acteur asymétrique. Cet état de fait primaire doit rappeler une chose fondamentale : en tant qu’acteur asymétrique, l’absence d’une norme d’action est la seule norme d’usage. L’objectif n’est pas tant la victoire à court ou long terme, mais l’action. L’action permet à l’acteur asymétrique de se perpétuer à travers la lutte pour se définir mais surtout pour définir l’Ennemi.

Il est possible de déterminer l’Ennemi par pléthore de processus et de logiques mais retenons celle qui concerne le cas Tarrant. Carl Schmitt avait proposé une définition positive de la notion d’Ennemi par celle de l’hostis : « concept premier dans une guerre ». Ainsi pour Schmitt, l’Ennemi est celui qui s’oppose à l’Ensemble et contre lequel l’action hostile est légale et donc légitime. Selon Tarrant, cette définition correspond à la « menace » invoquée dans son manifeste contre le « Grand Remplacement » et qui mena à son action.

Cependant, la détermination de la figure de l’Ennemi répond à un ensemble de processus. Si l’Ennemi est en substance la menace hostile qui se dresse contre l’Ensemble, définir et nommer l’Ennemi n’est pas une prérogative ouverte. En effet Carl Schmitt soulignait, avec raison, « est souverain celui qui décide de la situation d’exception ». Chez cet auteur la « situation exceptionnelle » amène le principe de décision politique (décisionnisme). Or, la prise de décision est une prérogative relative au détenteur du cadre légal, celui qui est à même de transgresser ce cadre pour surmonter la « situation d’exception ».

Il ne fait aucun mystère que Tarrant, individu et produit individuel n’était en rien le détenteur du cadre légal. Il n’avait donc aucune légitimité d’agir. Ce faisant, restant ancré au système Libéral et ne possédant pas la puissance de décision pour désigner légalement l’Ennemi. Le déni de la Légalité et de la norme en général est une des particularités des acteurs asymétriques et notamment des nationalistes révolutionnaires. Tarrant se revendique comme un combattant politique, mais en niant le cadre de la légalité et de l’action légitime, il ne reste qu’un vulgaire criminel de droit commun.

Il faut garder à l’esprit que l’inflexion d’un paradigme politique ne s’est jamais effectué par une action individuelle. De plus l’action asymétrique ne vise pas à influer le Politique mais à le perpétuer. Ce faisant, la seule voie possible de changement passe par la conquête du pouvoir légal, et ce : « par tous les moyens, même légaux ».

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