Charles Maurras sur la Nation
L’idée de nation représente en termes abstraits une forte réalité. La nation est le plus vaste des cercles de communauté sociale qui, au temporel, soient solides et complets. Brisez-le et vous dénudez l’Homme. L’Homme y perdra toute sa défense, tous ses appuis, tous ses concours.
Libre de sa nation, il ne le sera ni de la pénurie, ni de l’exploitation, ni de la mort violente. Nous concluons, conformément à la vérité naturelle, que tout ce qu’il est tout ce qu’il a tout ce qu’il aime est conditionné par l’existence de la nation : pour peu qu’il veuille se garder, l’Homme lucide défendra coûte que coûte sa nation.
Nous ne faisons pas de la nation un absolu métaphysique, un Dieu, mais tout au plus, en quelque sorte, ce que les anciens eussent nommé une déesse. Nous observons que la nation occupe le sommet de la hiérarchie des idées politiques. De ces fortes réalités, c’est la plus forte, voilà tout.
La nation subsume, c’est-à-dire prend, tient et range au-dessous d’elle les autres grands intérêts communs et les enveloppe dans sa dépendance : il en résulte donc que, en cas de conflit, tous ces intérêts doivent lui céder, par définition; en lui cédant, ils cèdent encore à ce qu’il y a de plus important en eux.
La nation passe avant tous les groupes de la nation. La défense du tout s’impose aux parties.
Les mots suffisent à le dire, on se met d’un parti, on naît d’une nation. Il y a entre les deux termes la différence de l’Association à la Société. Ceux qui s’associent créent l’élément commun entre eux. Les membres d’une société ont commencé par en être.
Ils peuvent l’accepter ensuite, se révolter contre elle ou la quitter, mais elle leur préexistait. Si leur volonté personnelle crée leur conduite à son égard, son existence à elle ne dépend de la leur que dans une mesure faible et éloignée.
L’estime est due aux communications naturelles des hommes. C’est le malheur des siècles et la suite funeste des révolutions politiques et religieuses de l’Europe moderne qui ont fait que, de nos jours, les Nations deviennent des intermédiaires inévitables pour ces rapports humains qui, sans elles, s’effondreraient.
Il y avait jadis une République chrétienne étendue à l’Europe occidentale, qui formait une sorte d’unité temporelle. Cette unité a été brisée par Luther. C’est depuis cette rupture que la nation est devenue le dernier cercle social sur lequel l’Homme puisse s’affermir.
Une nation a besoin de se tenir et de féconder dans le temps, comme elle a besoin, dans l’espace, de lier ses parties, ses fonctions, ses bureaux. Une nation qui se complaît dans sa faiblesse, en attendant les démonstrations et les preuves et la nécessité d’agir, se condamne à recevoir cette argumentation en pluie de schrapnells et de balles.