Le livre scandale d’Yves Saint Laurent
Le compagnon de Pierre Bergé fit éditer, en 1967, une bande dessinée dans laquelle il évoquait les aventures tordues de sa “vilaine Lulu”… Photo © éditions de la Martinière
« Il était une fois une petite fille. Elle s’appelait la vilaine Lulu. Son papa avait un nom : Yves Saint Laurent. » C’est ainsi que débute le seul ouvrage du couturier et compagnon de Pierre Bergé, rédigé en 1967 sous la forme d’une BD.
Une vilaine Lulu pas vraiment comme les autres petites filles et un ouvrage qui flirte souvent avec l’insupportable. Tout, dans le quotidien de cette enfant, n’est prétexte pour l’auteur qu’à la destruction, qu’à l’avilissement et qu’à la corruption des esprits.
Yves Saint Laurent y décrit une petite fille qui lit Play Girl, une revue pour adultes : « Le journal que je préfère » ; qui pratique les sacrifices humains à Vénus pour obtenir les faveurs de son prince charmant. Lulu saoule les nouveau-nés de vin rouge, électrocute les vieillards, euthanasie des malades incurables qui supplient : « Rien qu’un petit jour de plus. »
Pâques offre l’occasion au papa dessinateur d’imaginer des enfants empoisonnés par les oeufs pourris offerts par sa vilaine petite fille : « C’est moi qui suis la cause de tout ce bonheur. » Et de conclure : « À leur enterrement, elle sautait de joie. »
Lulu Saint Laurent ne connaît pas de limite : elle entre au service du pape, l’empoisonne et devient “papesse”. Elle enferme ses camarades dans une cabane qu’elle incendie, « comme c’est amusant ! » Avec son ami « monsieur Totor », ils « rôdent autour des écoles » pour organiser la traite des Blanches à destination du harem de l’émir Abdullah : « Voilà votre futur papa. »
Et puis le papa de Lulu aime bien la représenter dénudée, ici en odalisque, là au Café de Flore, debout sur les tables, jupe relevée, là encore alanguie sur un coussin… Le couturier n’hésite pas à exhiber les frasques et « le tralulu »de sa “fille” à la télévision pour exciter des foules libidineuses et provoquer le suicide d’épouses abandonnées.
C’est encouragé par Françoise Sagan qu’Yves Saint Laurent décidera de faire publier cette BD “hors normes”, mais que l’on trouvera parfois dans les rayons jeunesse de grandes enseignes. Une jeunesse à laquelle la vilaine Lulu et son papa n’épargnent rien : tortures, enfermements, assassinats. Les familles sont brisées, les professeurs harcelés…
Des fantasmes exprimés avec une candeur et une naïveté d’autant plus dérangeantes qu’un préambule, signé de la main de l’auteur, l’affirme : « Toute ressemblance avec des personnes qui existent ou qui ont existé est parfaitement voulue. Toutes ces aventures ont été tirées de faits réels. »Aujourd’hui, le seul à pouvoir commenter ces “faits réels”, c’est Pierre Bergé.