Les tanneries de peau humaine sous la Révolution
De Jean Sévillia dans Le Figaro Histoire (via le Salon Beige) :
« […] En 1986, les Presses universitaires France publiaient une thèse de doctorat d’Etat soutenue, à la Sorbonne, par un chercheur de 30 ans, Reynald Secher : le Génocide franco-français. Irréfutable par les faits exposés – la genèse et le déroulement des guerres de Vendée – l’ouvrage allait déclencher une violente polémique en raison de son titre, retenu à l’instigation de Pierre Chaunu, qui avait fait partie du jury de thèse de Secher. Le mot « génocide » étant principalement associé à la Shoah, l’utiliser au sujet de la Vendée revenait à établir une comparaison entre les armées de la Convention opérant dans l’Ouest en 1793-1794 et les bourreaux nazis du peuple juif, rapprochement jugé intolérable aux yeux de ceux pour qui la Révolution française reste un événement sacré. Ils faisaient valoir, non sans raison, que les Vendéens révoltés et les révolutionnaires appartenaient à un même peuple, ce qui rend problématique, en l’occurrence, l’utilisation du mot « génocide ». A quoi Secher rétorque, également avec raison, notamment dans son dernier livre, Vendée, du génocide au mémoricide. Mécanique d’un crime légal contre l’humanité (Cerf, 2011), que Hitler a tué les juifs allemands, de même que les Khmers rouges ont massacré le tiers de leurs compatriotes cambodgiens, et que le terme de « génocide » ne suscite alors aucune réserve. Interminable débat… Génocide ou populicide (l’expression est de Babeuf), il y a une certitude : 170 000 Vendéens ont été tués pendant la Révolution.
Spécialiste de la Révolution française, professeur émérite à Paris I – Sorbonne, Jean-Clément Martin a souvent abordé, dans des livres ou des articles, les guerres de Vendée, y attaquant à chaque fois Reynald Secher, cherchant à décrédibiliser sa méthode de travail comme ses conclusions, l’accusant de partialité antirévolutionnaire. A quoi Secher réplique en incriminant les présupposés idéologiques qui conduiraient Jean-Clément Martin, qui est membre de la Société des études robespierristes, à relativiser le drame vendéen.
De fait, la lecture du dernier ouvrage de Jean-Clément Martin, Un détail inutile ? Le dossier des peaux tannées, Vendée, 1794, laisse un sentiment de malaise. En décembre 1793, près d’Angers, aux Ponts-de-Cé, plusieurs milliers de prisonniers vendéens furent tués par leurs gardiens ; sur ordre d’un officier de santé, 32 de ces corps furent écorchés, leurs peaux étant confiées à un tanneur d’Angers. Le fait est avéré, et Jean-Clément Martin ne le conteste pas. Cependant, la tradition contre-révolutionnaire ou simplement critique à l’égard de la Révolution s’étant emparée de cet épisode pour en faire un emblème des horreurs commises en Vendée, au point, chez certains, d’interpréter comme une entreprise d’Etat ce qui n’était peut-être qu’une initiative particulière, Jean-Clément Martin en tire prétexte, a contrario, pour traiter cette affaire comme un accident non significatif, la replaçant dans la perspective plus large de l’histoire de l’écorchement, de l’Antiquité à nos jours. Or les seules questions qui vaillent est de savoir si, en France, vers 1780, le fait de tanner une peau humaine était considéré comme normal, et la réponse est non, et de se demander par quel mécanisme idéologique ou psychologique un acte aussi barbare a pu s’accomplir.