« Comment opérer une réforme sociale » de Frédéric Le Play
Auteur de référence, Frédéric Le Play reste pourtant méconnu du grand public…
Vous pouvez lire un condensé de son oeuvre ici.
« Parmi les vices sociaux que la réforme doit combattre, et dont on aperçoit tout d’abord le danger sans recourir aux développements donnés dans le cours de cet ouvrage, j’en citerai ici deux qu’on n’avait point vus jusqu’à présent réunis en France avec des caractères aussi graves. Ces vices existaient à peine sous les Valois au moment où éclatèrent nos discordes civiles ; ils étaient encore peu développés au XVIIe siècle ; et, d’un autre côté, on ne les rencontre plus chez certains peuples, qui, après en avoir cruellement souffert autrefois, nous disputent maintenant avec succès la prééminence.
Le vice le plus redoutable, parce qu’il est le précurseur habituel de la ruine des empires, est l’antagonisme qui divise notre société en plusieurs camps ennemis. La lutte que je signale n’est pas celle qui s’est souvent élevée, pour des questions personnelles ou des principes accessoires, entre des grandes individualités ou certaines classes dirigeantes se disputant l’influence ou le pouvoir ; elle existe dans les moindres subdivisions du corps social, dans la commune, dans l’atelier et dans la famille. Le mal consiste surtout en ce que les classes supérieures, au lieu de se concerter pour conduire la société dans la meilleure voie, se neutralisent mutuellement, en prétendant faire prévaloir par la force des principes contraires, au risque d’ébranler l’ordre social. Il sévit à la fois dans la vie privée et dans la vie publique : il est développé à ce point que les personnes attachées aux mêmes entreprises d’industrie et de commerce croient avoir des intérêts diamétralement opposés ; tandis que d’autres, qui seraient en situation de se dévouer au bien public, refusent d’y concourir, même à titre privé, sous un gouvernement qui n’a pas leur sympathie. Ce der-
nier sentiment offre en germe de grands dangers ; s’il se propageait davantage, il détruirait à la longue l’esprit national que nous devons au génie de nos pères
et qui est notre plus précieux héritage.
Le second vice dont nous souffrons est l’instabilité, symptôme encore plus apparent de la maladie des nations. »