Non, le protectionnisme n’est pas le fascisme
Intéressant article de Roland Hureaux qui revient sur ce thème, faisant suite aux récentes déclarations d’Arnaud Montebourg. Si nous ne partageons pas la totalité du point de vue de l’auteur, il défend avec intelligence son point de vue et l’article peut servir de base pour de véritables débats pertinents sur ce thème :
Depuis la conférence de La Havane, qui s’est tenue à l’issue de la Seconde Guerre mondiale (novembre 1947-mars 1948), et qui a abouti à la création du GATT (devenu OMC en 1995), le libre-échange a été tenu pour le dogme le plus intangible de la nouvelle organisation du monde. Non que le commerce ait été immédiatement libéralisé : pendant encore trente années, lesquelles correspondent aux « Trente glorieuses », les pays membres continuèrent à se protéger, de moins en moins il est vrai. Il fallut attendre le début des années 80 pour que les États aient levé entre eux la plupart des barrières tarifaires ou contingentaires.
Le libre-échange paraissait comme un idéal tellement évident qu’il figura, à l’intérieur et à l’extérieur, parmi les objectifs des organisations régionales comme le marché commun. Il fut propagé comme un dogme par les écoles où se formait l’élite, tel l’Institut d’études politiques de Paris, tandis que se trouvait discréditée et marginalisée toute intervention dans le débat de ce qu’il aurait pu rester de protectionnistes.
Le fondement théorique de cette suprématie du libre-échange est d’abord la célèbre loi de Ricardo qui tend à montrer que tout pays, quel que soit son niveau de compétitivité ou de développement, trouvera un avantage comparatif quelque part et que donc le développement des échanges est un avantage pour tous les partenaires, sans exception.
Mais cette loi est connue depuis presque près de deux cent ans [1]. Elle n’aurait pas suffi à imposer le libre-échange si la théorie économique ne s’était doublée d’une lecture rétrospective de l’histoire qui contribua largement à conforter le dogme.
Au motif que Mussolini et Hitler avaient décrété l’autarcie, forme exacerbée, si l’on veut, du protectionnisme (et surtout préparation à la guerre !), on décréta que le protectionnisme, c’était le fascisme, voire le nazisme. Le débat – ou l’absence de débat sur le libre-échange depuis 1945 ne se comprendrait pas sans cette petite musique de fond, quasi subliminale. On retrouvait d’ailleurs là la vieille doctrine de Saint-Simon selon laquelle le commerce éloigne la guerre.