Journal de campagne « Vous trouvez ça normal ? » N°11
Le Pr Alain Privat, nous livre son point de vue après son audition, mercredi 6 mars, par la Commission des Affaires Sociales de l’Assemblée Nationale, dans le cadre de la proposition de loi visant la levée de l’interdiction de la recherche sur l’embryon humain
Professeur en neurobiologie à l’EPHE, ancien directeur de recherche à l’INSERM et spécialiste des cellules souches, le Pr Alain Privat nous éclairait déjà sur les enjeux scientifiques du débat dans le numéro du 10 janvier à retrouver avec les archives du journal.
Cette audition était-elle à la hauteur de l’enjeu?
Disons que le minimum de politesse était assuré mais que le nombre d’auditeurs présents était à la limite de l’acceptable. Il s’agissait en somme d’un entretien avec le rapporteur, Mme ORLIAC, entourée d’un ancien député, et d’une assistante parlementaire. Nous sommes bien loin d’une consultation d’ampleur qu’exigerait cet enjeu fondamental et scientifiquement stratégique.
Quel message avez-vous délivré à Mme Orliac, rapporteur de la proposition de loi?
D’une part, la révision de la loi ne se justifie pas…
Dans les deux domaines concernés, la recherche relative à l’embryologie et la recherche relative aux thérapies cellulaires et à la médecine régénérative, les chercheurs disposent d’outils adéquats non-embryonnaires. Ils n’ont pas besoin de détruire d’embryons humains. Les travaux d’embryologie sont réalisés majoritairement voire exclusivement sur des embryons animaux. On peut rappeler dans ce domaine parmi les plus marquants les travaux de Mme LE DOUARIN, secrétaire perpétuel de l’Académie des Sciences, réalisés sur la caille et sur le poulet. Les travaux dans le domaine de la thérapie cellulaire peuvent, dans leur partie expérimentale, utiliser des cellules animales. Dans le contexte préclinique, les chercheurs disposent notamment de cellules souches humaines adultes (par exemple les cellules de moelle osseuse). Et surtout, depuis cinq ans et les cellules iPS (induced pluripotent stem cells) font l’objet d’un nombre croissant de travaux dans le monde entier, et très peu en France. J’illustre ce dernier point par l’essai clinique qui débute au Japon sur la dégénérescence maculaire liée à l’âge (DMLA), et le travail remarquable conduit aux USA sur des sous-types de maladie d’Alzheimer.
…d’autre part elle présente des risques de dérives mercantiles.
Je fais ici référence au domaine du « screening » à grande échelle de médicaments potentiels sur des cellules embryonnaires humaines en culture. Plus de détails sur ces techniques dans l’interview de janvier.
Quelle interrogation de Mme Orliac retenez-vous ?
Son attention aux revendications de chercheurs qui réclament cette autorisation et son inquiétude face à une soi-disant « fuite des cerveaux » vers des pays plus permissifs en matière de recherche sur l’embryon humain.
Or, ces chercheurs partisans de la libéralisation représentent en fait une minorité très active, et les expatriés vont davantage chercher de meilleures conditions de travail et de meilleurs salaires à l’étranger qu’une législation plus permissive en termes d’éthique.
Par ailleurs, il faut noter que les recherches menées sur les iPS sont peu développées en France en raison des choix politiques. A titre d’exemple, l’Agence Nationale de la Recherche n’a jamais accepté, malgré plusieurs demandes, d’afficher les IPS dans une action concertée. On retrouve là encore un puissant lobby qui cherche par tous les moyens à bloquer cette orientation au profit des cellules embryonnaires humaines. Le retard n’est pas où on veut bien le voir.
Laurent Meeschaert, consultant, diplômé de Sciences Po et de l’ESSEC, est aussi un investisseur particulier. C’est en tant que tel, et par souci de connaître l’usage fait par les entreprises de ses placements financiers qu’il a lancé une initiative pertinente et inédite touchant la recherche sur les cellules souches.
« Le respect d’un certain nombre de critères éthiques est toujours plus au cœur des préoccupations des investisseurs (particuliers ou institutions). Mais le critère « bioéthique » reste encore assez méconnu dans le domaine de la gestion de patrimoine. En tant qu’investisseur particulier, j’ai donc réalisé une enquête auprès de 44 laboratoires pharmaceutiques et cosmétiques cotés sur les places financières afin de connaître leur pratique en matière de recherche sur les cellules souches.
L’objectif de cette enquête est d’éclairer les investisseurs (particuliers et institutionnels) soucieux de financer une recherche médicale à la fois performante et pleinement respectueuse de la dignité humaine.
Sur les 44 laboratoires interrogés : 13 n’ont pas répondu ou nécessitent de compéter leurs informations; 22 ont indiqué ne pas pratiquer de recherche sur les cellules souches embryonnaires ; 9 ont indiqué pratiquer un tel type de recherche.
J’ai donc informé les laboratoires pratiquant des recherches à partir de cellules souches embryonnaires et, selon le principe de précaution, les laboratoires n’ayant pas répondu à l’enquête, qu’il ne m’était plus possible, en l’état, d’investir dans leurs sociétés que ce soit de manière directe ou indirecte, quel que soit le support d’investissement. J’ai encouragé les autres laboratoires à poursuivre leur recherche dans un sens pleinement respectueux de la dignité de l’embryon.
J’invite chacun à faire de même.
L’analyse détaillée de l’enquête, les coordonnées des laboratoires et des exemples de courriers sont en libre consultation sur le site http://www.embryo-ethics.com/ www.embryo-ethics.com »
N’oubliez pas de signer la pétition : déjà 40 000 signatures !