Poème sur la mort de Jean Chouan
- Le jour qui s’éloignait brunissait les murailles,
- Quand soudain apparaît, le regard consterné,
- Frissonnante de peur, la femme de René.
- — Les Bleus! On me poursuit ! Oh! prenez donc vos armes !
- Ces cris ont sur le champ tari toutes les larmes ;
- On saisit les fusils posés contre le mur.
- Tel change son amorce, et tel va d’un pas sûr,
- Quittant la métairie, interroger la route :
- — Que fait Chouan, dit l’un ? — Il est resté — j’écoute
- S’il ne revient pas. — Craignons de ne plus le revoir ;
- Ce n’est pas le danger qui pourra l’émouvoir.
- Pendant ce temps ; — Chouan, disait la jeune femme,
- Quitte pour me sauver les chagrins de ton âme ;
- Je suis enceinte, et si je tombe aux mains des Bleus,
- Mon enfant ne pourra me protéger contre eux !
- Jean la prit par la main et sortit sur la lande ;
- La clarté n’était plus ni vive ni bien grande ;
- Ce triste jour d’automne allait enfin finir,
- Pourtant on vit de loin deux francs hussards venir.
- Tous deux portaient gaiement leur pelisse azurée,
- La flamme du bonnet à tous les vents livrée
- Voltigeait sur leur tête, et leur court plumet noir
- Se détachait encor sur le ciel gris du soir.
- Ils allaient galopant aux travers de la plaine :
- — Ces fanfarons, voyez ! leur malheur les entraîne,
- Crie un brave. Il fait feu. — Manqué ! dit un hussard.
- Un autre paysan ajuste. — Un grand écart !
- Dit le second soldat. Longtemps leur moquerie
- Des Chouans maladroits occupe la furie ;
- Et, tandis qu’on s’oublie à soutenir ce jeu,
- On se trouve assailli par un bataillon Bleu.
- Non, jamais l’ennemi ne vint en si grand nombre !
- Les Chouans sont surpris ; mais, profitant de l’ombre,
- Ils courent aux halliers.
- Jean était déjà loin,
- Il soutenait sa sœur et n’avait d’autre soin
- Que de la préserver. Les Bleus dans leur poursuite
- Le découvrent bientôt ; son calme les irrite,
- Et de loin un hussard le vise et le fait choir.
- Sa sœur crie ; il lui dit : — Contiens ton désespoir,
- Hâtons-nous seulement de gagner la clairière.
- Cependant les Chouans, en avant, en arrière,
- Ne l’apercevant plus, regardant de leur mieux,
- Reviennent sur leurs pas quand sont partis les Bleus.
- Ils le trouvent alors au revers d’une haie ;
- Sa sœur cherchait en vain à refermer sa plaie.
- On le prend, on l’emporte au plus profond du bois,
- On lui dit : Parle nous, Jean Chouan ! — Cette fois,
- Répondit-il bien bas, je vais joindre ma mère,
- Et je croyais la mort, mes braves, plus amère !
- Des torches de résine en quelques mains brillaient,
- Les herbes du gazon d’un sang noir se souillaient ;
- À travers la forêt, dans les branches voisines,
- Le vent semblait tinter des plaintes argentines
- Et du chef expirant pleurer aussi le sort.
- Bientôt tout fut fini ; Jean Chouan était mort ;
- Son âme s’échappant de ses restes funèbres,
- S’était déjà mêlée aux suprêmes ténèbres.
- De peur que pour gagner le prix des trahisons,
- On ne volât son corps, il fut sous des gazons
- Soigneusement caché. Redoutant le parjure,
- Nul des siens n’a jamais montré sa sépulture.
- C’est ainsi que finit Jean Chouan. Sa valeur,
- Tout comme son tombeau, demeura sans honneur.