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L’affaire Erika et les aberrations judiciaires

Cet article est tiré du dernier numéro de Prospectives Royalistes de l’Ouest que vous pouvez lire intégralement et gratuitement ici. S’il fut rédigé avant l’investiture du socialiste Hollande à la plus haute magistrature républicaine, la conclusion n’en est que plus réelle…

Il est des catastrophes écologiques qui marquent particulièrement les esprits, et le naufrage de l’Erika et de ses 31 000 tonnes de fioul à la fin décembre 1999 est de ceux-ci. Des plages du Finistère à celles de Charente Maritime, en passant par Groix et Belle Île, plus de 400 kilomètres de côtes furent souillées d’hydrocarbures et d’oiseaux mazoutés (dont 150 000 Guillemots de Troïl), renvoyant aux bretons les douloureux souvenirs du naufrage de l’Amoco Cadix quelques vingt ans plus tôt.

                Poursuivi pour pollution maritime et condamné par le Tribunal Correctionnel de Paris à verser 192 millions d’euros de dommages et intérêts le 16 Janvier 2008, le Groupe Total n’a eu dès lors de cesse de vouloir casser cette condamnation et fit donc appel quelques temps plus tard, le 25 Janvier 2008. C’est dans ce cadre qu’il y a quelques jours, l’avocat général de la cour d’appel de Rennes vient de réclamer l’annulation de l’ensemble de la procédure judiciaire, estimant que cette affaire ne relevait pas de la juridiction française.

                Si la colère des parties civiles semble légitime face à l’incroyable demande de l’avocat général, la raison qui motive cette demande est encore bien plus critiquable, car parfaitement légale. En effet, se basant sur le droit international de la mer défini notamment par la Convention de Montego Bay de 1982, l’Erika se situait hors de la Zone Economique Exclusive française (jusqu’à 200 miles des côtes) où la souveraineté de la France prime, et les dramatiques conséquences qui suivirent son naufrage ne dépendent effectivement plus de la juridiction française, mais du pavillon maltais que battait l’Erika. Sans compter l’argument de la prééminence du droit maritime international sur le droit français en matière de préjudice écologique…

                De l’avis d’un grand nombre de spécialistes, l’excessive liberté des zones de Haute Mer, héritée de la pensée de Grotius (1583-1645), constituait un véritable « trou dans la raquette », d’où la multiplication des conventions internationales pour élever la réglementation, notamment au niveau de la pêche. Aujourd’hui, ce « trou dans la raquette » revêt une dimension particulièrement dramatique : parce que les lois ne reconnaissent pas le pays ayant subi le préjudice comme prééminent en cas de procédure judiciaire, ce même pays devra subir les conséquences des catastrophes engendrées par les déballastages et dégazages sauvages sans pouvoir initier aucune réaction judiciaire…

                Cette aberration a déjà été souvent remise en cause en France, notamment dans la Proposition de Loi de décembre 2000 qui visait à renforcer les sanctions infligées aux navires pollueurs ; il y était déjà mentionné l’impunité des dégazages en Haute Mer, les navires l’exécutant souvent sous les drapeaux de complaisance d’un pays laxiste en la matière, Chypre et Malte étant allègrement cités. En 2000, près de la moitié de la flotte mondiale avaient recours aux pavillons de libre immatriculation…

                Cette incroyable impunité doit être vivement combattue, et les solutions ne manquent pas : pourquoi ne pas conclure, à l’instar des Etats Unis, des accords bilatéraux avec un certain nombre d’Etats, à commencer par les plus complaisants comme Chypre et Malte, pour pouvoir poursuivre les navires en haute mer ? Mais ces accords nécessitent une réelle volonté politique, principe aussi étranger à nos gouvernements que la finesse à un pilier de bar…

Erika

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