Egalité dans la barbarie
La violence est un langage. Quand on l’a appris jeune, on le parle naturellement. Elle est un type de relation aux autres dont on use quand on n’a rien d’autre. Celui qui ne sait pas parler détruit. Celui qui possède peu de mots lance des invectives. D’une manière générale, plus un individu dispose d’un lexique, et moins il a de chances de taper.
Car le langage est une arme aussi, qui peut d’ailleurs s’avérer redoutable et même meurtrière. Mais alors on mesure, dans un pays où la méthode globale d’apprentissage de la lecture a été généralisée par idéologie, et où l’expression langagière rigoureuse a été négligée sciemment pour ne pas contraindre, on mesure de quelle manière la violence accapare le vide ainsi créé.
Beaucoup d’enfants n’ont plus de mots. On les voit qui cherchent leurs expressions, hagards de n’être pas compris, et qui emploient un seul mot connu pour dire tout un champ lexical ; qui s’expriment sans cesse en hurlant, sur un ton de colère et d’irritation, pour compenser la juste phrase qui manque. Tout cela parce que les dictées et les poésies, c’est réactionnaire.
Peuvent empêcher la violence enfantine : l’autorité ou le pouvoir. L’une et l’autre diffèrent grandement. L’autorité ici vient des parents, et des éducateurs en général : elle consiste à fonder la loi chez un sujet en devenir. Ou lui apprendre à se restreindre, à “s’empêcher”, comme disait Camus. Le lui apprendre par la conviction, en le persuadant qu’il est plus humain et plus séduisant de parler à autrui que de le frapper – faut-il encore lui donner les moyens : c’est-à-dire les mots. Mais faute d’autorité, il y a le pouvoir : les parents peuvent frapper l’enfant pour lui faire passer l’envie de frapper – processus dorénavant interdit par les lois. Mais surtout, le pouvoir politique emprisonne les violents, et contient en partie la violence par la crainte de la punition.
Dans une société, l’autorité et le pouvoir sont comme des vases communicants. Plus l’autorité est efficace, autrement dit plus la loi est intégrée à l’individu, et moins il y a besoin de pouvoir. Et inversement. Quand la famille n’éduque plus, il faut que l’Etat punisse largement. Si actuellement nous nous trouvons en face d’une situation propice aux violences enfantines, c’est en raison de cette transition : l’éducation parentale est défaillante, mais le pouvoir d’État n’a pas encore pris le relais. Ce qui ne saurait tarder, car aucune société ne saurait vivre dans la violence.