Société

Freud et Œdipe à la trappe

Inscrit dans le projet de “mariage pour tous”, l’effacement du père jette aux orties les enseignements de la psychanalyse.

Parmi toutes les hypothèses sur l’évolution longue d’une société, on peut se demander si l’instauration du “mariage pour tous” n’aura pas pour conséquence majeure l’effacement du père. Le mot, peut-être, disparaîtrait, on l’a dit, des documents officiels. La personne métaphysique du père s’effacerait également du souvenir et de la conscience de l’enfant, en particulier de l’enfant élevé par un couple de femmes, en même temps que sa présence physique.

Or l’absence-présence du père est liée fondamentalement à une question chère aux psychanalystes : le trio oedipien. Comme jamais rien n’est absolument monovalent en ces questions complexes, le “mariage pour tous” aurait-il, à long terme (celui d’une vie, celui de la vie de deux ou trois générations, des temps jusqu’où porte la mémoire familiale), comme conséquence une oblitération accrue du père, comme on peut le croire à première vue, ou au contraire un renforcement de sa présence, sous la forme d’un retour du refoulé ou d’une quête, car certaines absences ont plus de force que bien des présences ?

Dans son traité sur l’introversion intitulé Corydon, André Gide raconte cette anecdote : il trouve, dans l’appartement de son personnage éponyme, une photographie d’après Michel-Ange « où l’on voit, obéissant au doigt créateur, la créature Adam, nue, étendue sur le limon, plastique, tourner vers Dieu son regard ébloui de reconnaissance ». Que signifie, au fond, cette image ? Que l’homme n’a qu’un père, Dieu. Gide fait ici écho à sa propre histoire, telle qu’il la rapporte dans Si le grain ne meurt : un père rare qui est une ombre, respectueuse et respectée, mais une ombre, à peine entraperçue par le lecteur comme il le fut par l’enfant dans les couloirs de l’immense maison familiale à Rouen.

Si la littérature offre une leçon, c’est bien l’importance de la place du père dans la constitution de la destinée personnelle d’un écrivain. Saint Augustin raconte dans les Confessions que son père Patricius éclata de joie à la vue, un jour au sortir des thermes, de la virilité naissante de son fils dans son « vêtement d’inquiète adolescence ». Il précise que cette joie ne fut pas du goût de sa mère Monique, qui admoneste alors rudement l’adolescent et lui fait jurer de renoncer à toute fornication. Le futur évêque d’Hippone fit le choix de suivre le chemin tracé par cette dernière, fervente chrétienne, et d’abandonner les plaisirs de la chair : il comblait ainsi les désirs de la mère et renonça métaphoriquement au père, tout aussi absent des Confessions que monsieur Gide des Mémoires de son fils.

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