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[Texte de référence] L’Organisation sociale d’après La Tour du Pin

Affiche contre les délocalisationsLe texte de la semaine peut s’avérer pour nombre de nos lecteurs, particulièrement long et, peut être, fastidieux. Ce serait fort mal le comprendre car ce texte reprend, point par point, l’essentiel de la pensée des conservateurs sociaux. A l’heure où la crise politique et économique s’étend au domaine social, où la décentralisation est en constant recul, où les idéologies libérales et socialistes s’opposent continuellement sans jamais proposer de solutions durables à cette crise, la pensée sociale d’Action Française doit apparaître comme l’indispensable recours face aux inepties républicaines.

Par ailleurs, il faut évidemment prendre ce texte avec le recul nécessaire, et se garder de le juger avec un oeil moderne. Des leçons sont évidemment à tirer des principes énoncés, mais l’anachronisme doit être définitivement proscrit.

Un commentaire de texte sera donc fourni en fin de semaine.

Un exposé complet des doctrines de La Tour du Pin devrait comprendre l’élude de ses idées économiques, de son organisation du travail et le tableau de l’organisation sociale qu’il préconise. Nous nous bornons pour l’instant à présenter seulement son plan de réorganisation de l’Etat ainsi que les bases sociales qu’il donne à sa construction.

Le grand livre de La Tour du Pin : Vers un Ordre Social chrétien — Jalons de Route 1882-1907 et ses précieux Aphorismes sont malheureusement épuisés en librairie et se rencontrent de plus en plus difficilement.

On consultera avec fruit sur l’oeuvre du Maître, dont les idées forment notre doctrine économique et sociale, les études suivantes:

JEAN RIVAIN : Un programme de restauration sociale, La Tour du Pin précurseur-, Paris 1926.

FIRMIN BACCONNIER : L’Enseignement social de René de La Tour du Pin, Edition des « Cahiers de la Corporation », 10, rue du Havre, Paris.

JEAN DE FABRÈGUES : Introduction à l’Etude de La Tour du Pin, L’Etudiant Français (Supplément).

PRINCIPES FONDAMENTAUX DE LA TOUR DU PIN

L’auteur de Vers un Ordre Social Chrétien se situe dès l’abord à l’opposé des principes de 89. « Tous les principes de 1789, dit-il sont abstraits ou négatifs ; la liberté ne signifie que la négation des liens sociaux, l’égalité que le contraire de la nature; la fraternité que l’idéal religieux contre, lequel luttent victorieusement les passions qu’ils ont délivrées de freins et de barrières. A ces vues abstraites il faut substituer l’observation des réalités sociales.

 

Il y a deux séries d’organismes essentiels dans la société publique, ceux de l’ordre territorial et ceux de l’ordre professionnel. Dans la première se placent le foyer, la commune et la province, dans la deuxième l’atelier, la corporation et le corps d’Etat.

Le foyer où lieu de la famille est constitué par le feu de ceux « qui mangent au même pot ». Il naît d’un contrat : le mariage en est sous le gouvernement d’un chef : le père de famille. Le contrat qui fonde la famille est indissoluble dans une société bien organisée. La mère est le conseil du père, les enfants sont les sujets, quel que soit leur âge, tant qu’ils vivent au foyer. Dans l’intérêt de la famille comme dans celui de la société, le foyer doit être aussi stable que possible et pour cela participer aux fruits d’une propriété assurée. Donc le morcellement indéfini des biens est à éviter.

La commune est une agglomération, sur un territoire déterminé, de foyers unis par un lien administratif. Dans la commune, l’unité étant le feu, les chefs de famille établis doivent seuls concourir à l’élection du magistrat chargé de pourvoir à l’intérêt commun (le maire). La commune doit protection à tous ceux qui résident sur son territoire, mais l’acquisition du droit de bourgeoisie peut être subordonnée à certaines conditions. La commune doit posséder des biens dont le revenu lui sert à soulager les pauvres, l’impôt étant uniquement destiné à défrayer les services  généraux qui profitent au commun des familles : garde des propriétés, entretien des voies, salubrité publique… L’école peut être subventionnée par la commune pour en faciliter l’accès aux pauvres, mais elle n’est pas nécessairement un service public. Elle est le champ réservé aux pères de famille, sous le contrôle de l’autorité religieuse en ce qui concerne l’enseignement de la morale. La commune contribue aux charges de l’Etat dans la mesure où elle recourt à ses services.

La province est formée par la réunion d’un certain nombre d’arrondissements, chaque arrondissement comprenant un certain nombre de communes. Ces divisions doivent avoir une origine naturelle, le temps y ajoute une valeur historique.

La province est l’unité politique, la commune est l’unité administrative et la famille est l’unité sociale. Le canton est une division intermédiaire entre la commune et l’arrondissement; son caractère est de ne pas dépasser en étendue la course d’aller et retour que peut fournir en un jour un piéton appelé au chef-lieu.

Chacune de ces formations territoriales est pourvue d’un conseil pour gérer ses intérêts propres et fournir des délégués à l’échelon supérieur afin d’éviter l’élection directe.

L’atelier est la forme sociale du travail. Bien qu’il puisse être constitué sous la forme familiale, il résulte le plus souvent d’un contrat, soit entre employeur et salarié, soit entre associés sous la direction de l’un d’eux.

La corporation est l’association des ateliers, par profession, dans une circonscription déterminée. A l’origine de l’atelier il y a un contrat de travail, à l’origine de la corporation il y a un contrat d’association portant sur l’adoption de règles communes pour l’exercice de la profession. La corporation veille à la conservation des bonnes coutumes de l’atelier et est régie par un conseil corporatif, jadis composé seulement de maîtres, mais qui doit être ouvert à des représentants ouvriers en nombre égal. Le Conseil corporatif fait pour les ateliers ce que le Conseil communal fait pour la commune : il gère les institutions d’intérêt commun, qu’elles soient de prévoyance, d’assistance ou de crédit. Il peut posséder et rester en justice, et se faire représenter au degré supérieur de l’organisation corporative. La corporation garantit à ses participants la propriété du métier, surveille l’entrée des personnes nouvelles dans le métier à titre soit de maître, soit d’ouvrier, et assure la transmission de la propriété du métier aux enfants des confrères par l’apprentissage, la création de bourses, la délivrance de brevets.

Le corps d’état est une association de corporations appartenant à un même métier et résidant sur une unité territoriale plus vaste que celle qui sert de ressors aux corporations.

Le syndicalisme actuel, qui a le désavantage de dresser les classes les unes contre les autres et l’avantage de cultiver l’esprit de solidarité, apparaît comme l’instrument de transition indiqué pour faire passer le monde du travail de l’état chaotique à l’état organique constitué par le régime corporatif.

La science sociale est l’étude des rapports qui existent entre les hommes. Elle comprend trois parties:

 

La morale sociale, qui traite des rapports familiaux et des rapports d’ordre privé.

L’économie sociale, qui traite des rapports entre les hommes ayant pour objet leur subsistance et leurs richesses.

 La politique sociale, qui traite de l’organisation des sociétés en cités et en nations.

 

La morale sociale se révèle à l’observateur par la prospérité qui suit sa pratique comme par la décadence qui accompagne son abandon, dans tout organisme social, notamment dans la famille et dans la cité. La cité où règne la crainte de Dieu est plus ordonnée et plus sûre. Ce sentiment adoucit les moeurs, rapproche les distances, crée des liens, réfrène l’avarice des riches, la superbe des puissants, l’envie des humbles. Disons avec Le Play que l’observation du Décalogue est le critérium de la paix sociale. Ses prescriptions constituent le droit naturel : croyance en un Dieu vivant, personnel, créateur et rémunérateur, religion du serment. « Toute civilisation repose sur ces deux colonnes : la foi en la présence de Dieu et son invocation dans le serment. » L’élément le plus simple de la société est la famille. Cet élément a sa loi de vie dans une constitution hiérarchique formulée dans le Décalogue et qui s’étend aux pouvoirs de fait quand ils ne contredisent point les lois sociales. Ces lois sont celles que la science reconnaît comme constantes et inéluctables, à l’encontre des lois politiques qui sont arbitraires particulières à chaque peuple et qui ne peuvent entreprendre contre les lois sociales. La continuité est une loi sociale si on interprète ce mot, non comme un élément dominateur immobile en face d’un état social mobile, mais comme la nécessité de ne jamais rompre violemment avec le passé. Le passé ne meurt pas brusquement, il est la source de la vie du moment et il la conditionne. Il est superflu de montrer le caractère scientifiquement social de toutes les lois du Décalogue sur la débauche, le mensonge, l’envie. Cette loi morale peut-elle se passer de sanction religieuse?  La science sociale admets que cela peut se rencontrer chez quelques hommes, mais il est constant que les sociétés athées s’éloignent toujours de la loi’ morale.

 

L’économie sociale embrasse le problème de la subsistance sous trois rapports : production des biens par le travail, leur attribution en propriété (répartition), leur échange (circulation).

Pas de loi plus constante que celle qui fait du travail l’agent nécessaire de toute production. Mais l’homme cherche à se soustraire à cette loi car il peine pour travailler. Il tente de supprimer cette obligation soit en cherchant des instruments capables de lui épargner les tâches les plus pénibles (c’est là le principe, du progrès économique), soit en rejetant par force ces tâches pénibles sur d’autres hommes (c’est le principe de l’esclavage et de l’usure). Quand le travail est honoré, on lui reconnaît un droit, il s’organise, la collaboration professionnelle fleurit et avec elle l’apprentissage « qui conserve l’acquit de la veille et prépare le perfectionnement du lendemain », la production est réglée de manière à suffire aux besoins de la population sans les dépasser. Ainsi le métier devient « une propriété d’un rapport assuré » et la famille, comme la cité, est stable. Dans les sociétés où, au contraire, on tend à rejeter la loi du travail, la considération s’attache, à ceux qui réussissent le mieux à s’enrichir sans travail. On pense tout d’abord’ ici à l’esclavage, puis — inexactement — au servage, car le serf avait des droits. Dans le régime moderne, dit de la liberté du travail, le travail n’étant pas organisé, l’individu est à la merci des fluctuations du marché, dues aux jeux du capitalisme; il est désarmé contre les accidents de sa propre existence et rien n’est moins assuré que la subsistance de sa famille, s’il se résout à en fonder une. Pour l’ouvrier, notamment, le régime de la liberté du travail est celui de la liberté de mourir de faim.

Une loi non moins générale que celle du travail est celle de la tendance à la constitution d’une propriété : l’homme qui produit veut posséder le fruit de son travail. Mais comme le travail est presque toujours social (possible et productif grâce à la société des hommes qui fournit au travailleur la science du travail et les outils) la propriété a un caractère social, c’est-à-dire qu’elle est grevée de servitudes tout en étant investie des privilèges correspondants. Pour la propriété des biens fonds, il existe des régimes où la famille, représentée par son chef, est reconnue seule propriétaire. D’autres régimes sont plus ou moins communautaires ou de main-morte. Le code civil français marque on ne peut plus mal le domaine éminent de la société, il ne connaît qu’un droit de propriété privée. De nos jours a surgi la question de la propriété des instruments de travail, qui rentre à la fois dans la question de l’organisation du travail et dans celle de la propriété. Le droit de propriété se rattache au droit à l’existence donc au droit naturel.

Le crédit, qui favorise la production et la circulation se présente d’autre part comme un instrument d’exploitation des masses. Ni la concurrence, ni les monopoles, ni la spéculation ne constituent le ressort essentiel de la production et de l’échange, mais bien le besoin et l’épargne.

La politique sociale nous enseigne que la conception moderne de l’Etat repose sur deux propositions tirées du « Contrat Social » :

1°. L’Etat étant l’origine et la source de tous les droits, jouit d’un droit qui n’est circonscrit par aucune limite ;

2° L’autorité n’est autre chose que la somme du nombre et des forces matérielles.

L’Eglise a condamné ces conceptions dans l’Encyclique du 8 décembre 1864. Pour qui la science va-t-elle se prononcer ? Elle stipule que les lois « sont les rapports nécessaires qui dérivent de la nature des choses » (Montesquieu). Or, des droits naissent de ces rapports : droits de la conscience, droits de la famille, droits même du travail, qui n’émanent pas de l’Etat. Voilà qui tranche la question, ainsi que la remarque suivante : « Un homme ou un groupe qui ne tiendrait son droit que de celui de l’Etat serait absolument sans droit puisque l’Etat serait toujours maître, en vertu de son principe même, de révoquer le droit qu’il aurait concédé. »

Tel est cependant l’idéal qu’on voudrait imposer au nom de la liberté mais au mépris de toute science et de toute logique.

La science sociale doit seulement fournir des données pour le gouvernement de l’Etat puisque l’Etat n’a d’autre fonction, que celle d’être l’expression suprême de l’accord de tous les droits. Par la loi, l’Etat définit les droits (mais ne les crée pas) — les maintient par la justice — et les protège par la forcé. Telle est sa constante et triple mission.

Dans son rôle de législateur, l’Etat consacre les bonnes coutumes et favorise les initiatives fécondes, mais se garde d’innover et de supprimer au lieu de développer et de réformer. La fonction judiciaire ne peut être dignement exercée que par des corps judiciaires autonomes. La magistrature héréditaire était respectée, la magistrature actuelle l’est beaucoup moins. Pourquoi? Parce que la démocratie, en supprimant les justices corporatives, a supprimé les compétences; en supprimant des sièges, elle a supprimé l’indépendance; en dictant des arrêts elle a supprimé la respectabilité. La force au service du droit doit être honorée pour être efficace.

Le régime corporatif substitue à la liberté illimitée du capital et du travail, et à la concurrence sans frein qui en résulte, des règles variables, dictées par les corps professionnels eux-mêmes dans l’intérêt de la sécurité et de la loyauté du métier.

Il faut distinguer dans le régime corporatif trois ordres de droits différents: 1° Le droit de chacun dans l’association; 2° Le droit de l’association dans l’Etat; 3° Le droit de l’Etat dans l’association.

1° Apprenti, compagnon ou – maître, chacun a ses droits individuels garantis ,par les statuts de l’association et sauvegardes par sa magistrature.

2° La corporation n’est pas sans lien avec la chose publique, elle a sa place dans la commune et dans l’Etat. Doit-elle être libre ou obligatoire? Elle doit être libre, mais elle tend par la force des choses à devenir obligatoire et a besoin de l’être pour exercer une fonction publique.

3° La corporation est liée à l’Etat par un contrat moral comportant des attributions et des obligations réciproques.

Le pouvoir public ne lui dicte pas ses règles, mais il les homologue pour les maintenir au service de l’utilité publique. Il protège ces mêmes règles contre les difficultés matérielles et contre les oppressions du dehors.

Trois pratiques donnent corps à ces droits :

a) Existence d’un patrimoine corporatif — en vue des chômages, de la distribution de pensions et de secours, de la fondation et de l’entretien d’écoles professionnelles, etc.. Il est constitué par prélèvements sur la production, aux frais communs de l’entreprise et de la main-d’oeuvre. Ainsi l’ouvrier qui accède difficilement à la propriété individuelle obtient au moins les avantages de la propriété collective.

b) Constatation de la capacité professionnelle. — La possession d’un métier garantie par la loi est aussi une forme de la propriété quand celte possession ouvre un privilège à celui qui l’a. Un brevet corporatif pourrait servir de titre à ce genre de propriété. Ce brevet serait une garantie pour le consommateur qui serait assuré ainsi de la valeur professionnelle de son fournisseur. Notons que le régime corporatif obligatoire est le seul où la corporation soit ouverte à quiconque remplit les conditions d’exercice du métier. Les corporations ainsi constituées représentent l’ensemble des intérêts nationaux professionnels. L’Etat peut dès lors abdiquer entre leurs mains l’exercice d’une juridiction étendue.

c) Représentation de chaque élément dans l’ensemble. — La corporation édicté ses propres règles (pouvoir législatif), juge les contestations entre ses membres (pouvoir judiciaire), et par ses délégués, administre son patrimoine (pouvoir exécutif). Pour la juste application de ces principes, tous les éléments doivent être représentés au gouvernement de la corporation : dans l’industrie les actionnaires, les directeurs, les employés et les ouvriers de toutes catégories; dans l’agriculture les propriétaires, les fermiers, les régisseurs ou les métayers et les serviteurs. Dans le conseil corporatif on vote par ordre.

 

Conséquences du régime corporatif

 

1° Arrêt de la décadence économique , par la loyauté de la concurrence et la prospérité du métier. Le système capitaliste épuise la nature et l’homme; il est nuisible au producteur comme à la production. Dans le capitalisme, on veut uniquement faire rapporter le capital et pour cela on tend à diminuer le prix du produit en pesant sur la matière première et sur la main-d’oeuvre. D’où lutte avec les ouvriers, car la concurrence n’est pas la condition du progrès. Elle subsiste d’ailleurs sous le régime corporatif, même avec limitation du prix de vente et obligation d’une qualité minima du produit, car les maîtres peuvent lutter à qui livrera dans les mêmes conditions de tarif pour la main-d’oeuvre, la matière première et la vente, le meilleur produit.

 Appliqué sous l’ancien Régime, le système corporatif imposait des freins moins à la liberté du travail qu’à celle du capital. Le système de la liberté du travail avilit la production, mais la développe-t-il? Non, car il poursuit, même à l’étranger, les bas prix de main-d’oeuvre et de matières premières : le capital émigré. Le coolie chinois, qui n’a que des besoins élémentaires, battra les autres ouvriers; et l’usurier chinois, qui ne fait pas la fête, battra les Juifs qui la font. Une décadence économique est le tenue du capitalisme, système établi au nom de la liberté du travail et soutenu par l’argent capitaliste et par les doctrines libérales.

2° Arrêt de la décadence morale — par la conservation des foyers et le retour à la vie de famille. Le régime de la liberté du travail est celui de la destruction de la famille ouvrière, brimée par un capitalisme sans pitié, sans humanité. ….

3° Arrêt de la décadence politique. — Pour rendre le peuple conservateur, il faut lui donner quelque chose à conserver. Le libéralisme a fait l’inverse en supprimant les organisations où chacun avait son droit assuré. Depuis lors les mécontentements, les révolutions sont chroniques. Un état politique stable ne peut s’ériger sur un état social instable. L’Etat ne fonctionne que pour la conservation de la société. Mais si les membres de cette dernière ne veulent pas la conserver, le rôle de l’Etat devient impossible à remplir, il patauge, et le peuple qui lui attribue tous les malheurs, le prend en haine et veut le renverser: le libéralisme conduit au socialisme. La Révolution de 1789 a dirigé la société dans un sens qui conduit aux pires fléaux. Il faut pour la sauver revenir à des principes anti-révolutionnaires : aux principes corporatifs, qui sont à la fois réactionnaires et chrétiens.

Syndicalisme intégral

Pour donner tous ses fruits, le syndicalisme doit être intégral, c’est-à-dire régir toute l’activité sociale. L’ouvrier a plus souffert que d’autres de l’individualisme, car nul n’a plus besoin que lui — « pour qui la question sociale devient presque toujours une question de subsistance » — (de Mun) d’être protégé et de trouver dans les institutions sociales la compensation de ses misères. Les catholiques qui sont libéraux contribuent à soutenir un état économique, et social dirigé nettement contre les enseignements de l’Eglise.

 

Attributions de la Corporation

La corporation élabore elle-même ses règlements; ils sont sanctionnés par les pouvoirs publics, et ont alors force de loi. Le Conseil de la corporation fixe les conditions du travail, rend la justice et fait la police dans les corps d’Etat, crée et administre les institutions d’intérêt commun (caisses de retraites, de secours, de maladie, de chômage, d’assurances contre les accidents, sociétés de consommation, etc.), étudie et proclame les intérêts professionnels et représente le corps d’Etat en justice.

Droits des ouvriers

Beaucoup d’économistes admettent que l’ouvrier peut discuter individuellement les clauses du contrat de travail qui l’engage, mais refusent de reconnaître à la classe ouvrière le droit de signer un contrat collectif de peur que les caractères juridiques de ce contrat ne confèrent aux ouvriers certains droits vis-à-vis de la classe patronale.

L’ouvrier revendique ce droit et s’organise pour l’imposer. En outre, il goûte peu les avantages qui lui sont faits à titre de munificence par certains patrons, parce qu’il peut en perdre le bénéfice en même temps que ses moyens journaliers de subsistance par le fait d’un renvoi auquel il est à tout instant arbitrairement exposé. Il faut admettre que :

Il y a un droit du travail à reconnaître dans la fixation des salaires, la loi de l’offre et de la demande n’en étant pas le seul régulateur; il y a un organisme juridique corporatif à créer pour appliquer ce droit, il n’y a corporation que par l’union d’un syndicat patronal et d’un syndicat ouvrier.

Il importe de faire une juste part aux revendications ouvrières sans leur livrer le bien d’autrui. « A la conception que l’ouvrier est pour le patron un outil, répond nécessairement celle que le patron est pour l’ouvrier une caisse, une caisse qu’il doit remplir, mais qu’il lui serait beaucoup plus agréable de vider à son profit. Si bien qu’à cet outil mis à côté de cette caisse il ne manque que la main d’un politicien pour l’employer à forcer la caisse. »

Anciennes et nouvelles corporations

« Le principe aristocratique de l’ancienne société voulait que nul n’y fût classé par sa richesse, mais uniquement par sa fonction, fief, charge ou profession, ces fonctions étant pour la plupart du temps héréditaires ou familiales. C’est ainsi que le gouvernement de la corporation n’appartenait qu’aux maîtres, que les fils y succédaient à leurs pères de préférence à tous autres, enfin qu’au sein de ces familles professionnelles, qui se mariaient le plus souvent entre elles, se recrutaient non seulement les magistrats de la corporation, mais ceux de la cité. »

Les corporations avaient ainsi les mêmes caractères que la société qui les englobait. La Révolution ayant changé les lois sociales, il fallut aussi démolir les lois économiques. L’ouvrier eut le» mêmes droits politiques que le maître, mais tomba économiquement dans une dépendance sans limites. On lui ôta toute protection légale, tout privilège professionnel, toute propriété, tout recours; le salarié devint un prolétaire. Puis, l’avènement de la grande industrie rendit le patronat anonyme et créa une classe séparée d’ouvriers aptes à s’unir en « parti ». La loi de 1884 favorisa leur organisation.

« Les corporations nouvelles différeront du tout au tout des corporations anciennes en ce qu’elles seront aussi complètement démocratiques que Celles-ci étaient aristocratiques. Chaque classe arrivée successivement à la domination a eu pour l’humanité son legs utile: le sacerdoce lui a légué son sentiment du devoir, l’aristocratie celui de l’honneur, la bourgeoisie celui de l’intérêt, le peuple lui donnera celui de la solidarité. »

 

POLITIQUE SOCIALE

Bases de la politique sociale

Pour un chrétien, le problème se pose ainsi : il faut appliquer la loi morale aux forces économiques modernes. Le régime capitaliste a déterminé l’existence de deux classes séparées par un large fosse, les capitalistes et les prolétaires. Entre elles, aucune conciliation n’est probable, les uns lie voulant rien sacrifier, les autres voulant tout prendre.

Il en résulte la guerre sociale. Pour rétablir l’ordre, il faut s’appuyer sur les croyances religieuses. L’homme est un être religieux, historique et social, et toute société repose sur la religion, la tradition et l’association. La religion est représentée par l’Eglise, la tradition par l’Etat et l’association par les libres groupements formés par les citoyens.

Rôle de l’Eglise

 Un ordre social correspond plus ou moins à Une conception religieuse. Dans l’ordre social d’une époque déterminée, il reste des traces de celui qui l’a précédé et il existe aussi des anomalies tenant à la nature des choses qui ne se laissent pas ployer sans résistance selon l’idéal que l’on poursuit. Contre les restes sociaux d’un temps « où la philosophie de l’Evangile gouvernait les Etats » (Mgr d’Hulat), le socialisme se déchaîne. Continuant l’oeuvre du libéralisme il érige « la négation en croyance; la matière eh cause première, la jouissance en fin dernière ».

La religion maçonnique est celle de l’humanité divinisée; ses tenants font appel au plus noble sentiment de l’humanité : l’amour des petits et des faibles. Il est donc capital de revendiquer comme le caractère propre du christianisme non seulement le devoir de l’aumône, mais l’accomplissement de tous les devoirs de justice et de solidarité sociales. A la doctrine socialiste qui se recommande de la Déclaration des droits de l’homme, nous opposons la doctrine de l’Eglise catholique, plus ancienne, aussi suivie, aussi intégrale. A la politique de la Révolution nous opposons la politique du Syllabus. Le but de l’Eglise est évidemment le salut des âmes, mais sur le plan humain l’Eglise est la source de tant d’avantages qu’elle ne pourrait en procurer de plus nombreux et de plus grands même si elle avait été fondée seulement en vue d’assurer la félicité de cette vie.

Cette action bienfaisante de l’Eglise n’a pas été partout ressentie de même; elle se fait sentir dans la mesure où l’Eglise obtient la reconnaissance de ces. trois attributions : le ministère, l’enseignement et le jugement. L’Eglise administre les sacrements et prêche la morale, c’est son ministère. Elle a le droit de distribuer l’instruction et l’éducation dans ses écoles; de fonder, de maintenir et de distribuer la doctrine, sociale, voilà pour l’enseignement. Enfin, dans toute société catholique, elle a le droit de juger et de sanctionner les fautes commises contre sa doctrine et ses enseignements. La dualité du pouvoir religieux et du pouvoir civil est un fait historique.

 

Rôle de l’Etat.

— L’homme naît et se développe dans un milieu conditionné bien plus par des coutumes sociales et des courants d’idées que par des circonstances extérieures. Le paganisme repose sur la pratique de l’esclavage comme régime du travail, celle de l’usure comme régime de la propriété et celle de la pleine disposition comme régime de la propriété. Le christianisme est venu adoucir ce régime même chez les barbares récemment convertis. « Ce furent les légistes, restaurateurs du droit césarien, qui appliquèrent le dernier supplice à la répression du vol et même du délit de chasse comme ils introduisirent dans la procédure juridique la torture, réservée par les Romains eux-mêmes, aux seuls esclaves. Ce fut la Renaissance italienne qui fit rentrer le prêt à rentes dans les moeurs et la Réforme calviniste qui fournit les premières banques. »

 En économie politique, toutes les nations chrétiennes ont eu, pendant les siècles de foi du moyen âge, les mêmes organisations sociales. Même concordance entre les idées philosophiques et l’économie, dans les nations modernes, mais cette fois sous l’égide du libéralisme c’est-à-dire des idées de 1789. La fameuse formule : « L’Eglise libre- dans l’Etat libre » signifie que l’on donne au mal les mêmes armes qu’au bien, en niant le droit fondamental de la société chrétienne. Le principe de la souveraineté du peuple est la négation du principe de toute autorité divine ou humaine.

Economiquement les libertés du travail, du commerce, de la propriété signifient le déchaînement « de toutes les cupidités contre toutes les faiblesses », c’est, d’après Louis Veuillot « la liberté dont on jouit dans les bois ». Ce que l’on appelle « conquêtes de l’esprit moderne » c’est la perte du bon sens et de la sagesse des ancêtres. Grâce à ces belles théories, jamais les esprits n’ont été plus inquiets, les peuples plus mécontents.. Et jamais il n’y eut d’inégalités sociales plus marquées ni autant de ferments de guerre civile.

La solidarité chrétienne, nous donnera  la solution souhaitée si nous savons en adapter les principes aux exigences actuelles des sociétés. La solidarité abstraite est sans portée et sans efficacité. Elle souhaite que des ordonnateurs distribuent à chacun une pitance égale; mais des chiens qui mangent au même baquet ne sont pas pour cela solidaires. D’une manière, concrète, la solidarité résulte d’une communauté d’idéal ; elle est une chaîne sans fin dont chaque famille humaine est un anneau. Dans cet ordre d’idées, en effet, la cellule sociale c’est la famille et non l’individu. Une société basée sur la hiérarchie ne peut avoir d’autre élément primitif que la famille base de toute hiérarchie. Au contraire, une société basée sur la liberté individuelle ne peut reconnaître comme élément primitif que l’individu. « L’individualisme, c’est la Révolution. » Il faut donc reconstruire la société sur la famille.

Cette famille est moins un lien de sentiment qu’un lien matériel qui se forme et persiste au foyer. C’est dans le foyer, qui est une monarchie, que se fera l’éducation des enfants destinée à assurer la perpétuité de l’ordre établi. C’est dans la famille que se transmet l’héritage qui doit assurer la survivance du patrimoine familial. L’Etat doit donc tout faire pour la famille, l’État moderne fait tout contre elle.

 

 

L’organisation sociale est un « assemblage merveilleusement complexe d’associations ». L’association étant une nécessité est un droit naturel, et il est monstrueux que la Révolution ait supprimé la liberté d’association au nom de la liberté abstraite. Ces associations sont des personnes morales. Le législateur les réglemente, moins pour les réfréner que pour les protéger; il doit les laisser se former librement, n’ayant aucun pouvoir pour les créer lui-même.

L’Etat qui ne peut ni créer les familles, ni créer les associations, ne doit pas les ignorer, mais protéger les unes et réglementer les autres, sans se substituer à elles, c’est-à-dire en agissant par des lois et non par l’application d’un césarisme administratif et bureaucratique.

Quant au rôle de l’Etat concernant la justice sociale, il ne peut être rempli que grâce au régime des privilèges, c’est-à-dire en substituant la reconnaissance légale du droit propre à celle du droit commun. Il y a des privilèges honorifiques, puisque l’honneur a son rôle dans la société; des privilèges juridiques, comme d’être jugé par ses pairs; des privilèges administratifs, comme en ont certaines sociétés commerciales, des chemins de fer, des banques…; des privilèges politiques, comme nous voulons en voir établir par la représentation des droits et des intérêts.

En pratique, ces diverses idées se traduisent par l’adoption par l’Etat du programme suivant.

— Pour l’Eglise : reconnaissance de sa liberté d’apostolat et d’enseignement.

— Pour la famille : indissolubilité du mariage, droits des parents sur l’éducation des enfants, rétablissement de la liberté de tester dans une large mesure.

— Pour les associations : Liberté de les laisser se former, devoir de les guider et de les protéger.

Rôle de l’Association.

— Il faut l’adapter aux conditions économiques actuelles dont trois ont surtout modifié les- conditions anciennes : facilité du transport des matières, du transport des forces, et du transport des pensées. Cette mobilité des éléments économiques rend leur réglementation encore plus nécessaire. Ici, l’action de l’Etat est redoutable : il n’a pas mission de pourvoir à la subsistance de ses membres, la société à qui incombe cette charge ne peut s’en acquitter qu’au moyen des associations. Les lois fondamentales de ces associations sont d’être d’esprit chrétien, d’être hiérarchisées, de reposer sur le dévouement des patrons aux ouvriers, de donner à chaque élément (capital et travail) une juste part au gouvernement des intérêts communs, de faire garantir ces intérêts par la possession d’un patrimoine commun et par la reconnaissance légale, de posséder un droit de juridiction sur ses membres et de représentation près des pouvoirs publics.

PRINCIPES DE LA POLITIQUE SOCIALE

Les classes sociales.

— La réforme sociale est basée sur la réorganisation corporative de la société, c’est-à-dire sur la recherche « d’une formation organique qui ait pour point de départ la diversité des conditions et dans chacune d’elles la liberté d’association, avec un droit égal à participer, chacun dans sa sphère, à la vie publique ». Si, dans la société actuelle, nous assistons à une lutte des classes, c’est donc que ces classes existent encore cent quarante ans après la prise de la Bastille! Ne vaut-il pas mieux, ces classes étant humainement indestructibles, les aider à reprendre chacune’ leur place dans une société bien ordonnée, plutôt que de les encourager à s’entre-dévorer ?

Les classes populaires sont celles qui ont une instruction rudimentaire et qui vivent de travaux manuels. Actuellement elles ont des droits politiques égaux à ceux des autres classes et un défaut complet d’indépendance économique.

L’analogie de la condition sociale, malgré la diversité des professions, produit dans ces classes un fort esprit de solidarité. Le peuple pratique la solidarité parce qu’il en a sans cesse besoin, sous ses formes légales (ligues pour obtenir un contrat collectif de travail, grèves…) et sous ses formes charitables. Il paraît donc aisé de faire comprendre aux hommes de ces classes l’anti-individualisme. Mais les associations populaires actuelles n’ont ni tradition, ni fonction sociale, ni propriété. Il faut leur restituer tout cela en rétablissant le patrimoine des corporations, les biens communaux, les usages. Pour rénover la propriété collective on procédera non par confiscation violente envers l’Etat et les classes aisées, mais progressivement, par le jeu d’institutions qui créeront des ressources populaires.

Dans les classes moyennes l’esprit d’assistance mutuelle est moins développé; chacun a un certain avoir personnel : outillage, crédit, capital, clientèle. C’est l’intérêt qui domine dans l’esprit des classes moyennes, plus occupées d’accroître les fortunes individuelles que du bien public. Ce sont elles pourtant qui fournissent le personnel politique, lequel apporte dès lors dans ses fonctions son esprit de lucre. Réfractaires aux réformes sociales, ces classes n’abandonnent un peu de leur individualisme que sous la menace d’un mouvement révolutionnaire. On devra leur montrer dans l’organisation corporative le seul moyen de n’être, pas débordées par le socialisme. La réforme sociale, en effet, doit s’attacher à la conservation des classes moyennes.

Faut-il qu’il y ait des classes élevées? On doit, pour répondre à cette question, partir de la définition de Le Play : les classés supérieures sont celles qui doivent leur dévouement aux classes inférieures. Dans une société bien organisée en effet aucun avantage d’ordre privé ne doit donner rang, mais la mesure dans laquelle cet avantage est tourné au service du bien public. C’est l’usage de la richesse et non la richesse, l’emploi du talent et non le talent, qui doit être un principe d’élévation sociale. Quand les hautes classes cessent d’être dévouées, elles manquent à leur mission et sont submergées en dépit de tout privilège et de tous droits acquis.

Le ressort des aristocraties c’est l’honneur, l’honneur par dévouement au bien public. C’est à ce sentiment qu’il faut faire appel, tâche nécessaire au même titre que celles de conserver les classes moyennes et de relever les classes populaires. Ces trois tâches doivent être entreprises simultanément car elles ont toutes un même caractère d’urgence : il faut renouer les liens sociaux que la Révolution a brisés.

1° Eléments sociaux à représenter.

— On distingue trois grandes catégories dans la société civile : les contribuables, les corps constitués et les sociétés professionnelles. Les contribuables ne devant payer d’autres impôts que ceux qu’ils ont consentis doivent, pour accorder ce consentement, pouvoir désigner des fondés de pouvoirs et être fermés à cet effet en collèges électoraux. Ces collèges ne sont pas nécessairement régionaux mais aussi censitaires, c’est- à-dire qu’ils groupent les contribuables en classes, de petits, moyens et gros imposés. Chacune de ces classes pouvant avoir des intérêts distincts, chacune doit, avoir sa représentation propre. Ces classes sont composées de manière à fournir chacune environ le tiers de l’impôt global. Il ne s’agit ici que de l’impôt direct. Les femmes veuves, maîtresses d’un foyer, sont électrices. Les hommes non établis ne sont pas électeurs. Ainsi ce n’est pas l’individu qui vote, mais la famille représentée par son chef.

Les corps d’Etat dont la constitution est hiérarchique (églises, universités, corps juridiques…) ne peuvent être représentés que par leurs chefs, car il importe de sauvegarder le principe hiérarchique dans la représentation.

Les associations professionnelles sont représentées par les syndics, élus par les membres du syndicat et qui élisent à leur tour leur représentation auprès des pouvoirs publics. Ces associations se répartissent en trois groupes : professions libérales, industrielles et agricoles.

On obtient ainsi une vraie représentation du pays, alors que les principes révolutionnaires sont destructeurs du régime représentatif.

2° Rôle de la représentation des droits et des intérêts.

— Ce rôle n’est évidemment pas de gouverner, ce serait de la démagogie. Dans une démocratie, cette représentation peut participer au gouvernement de l’Etat, mais seulement par voie de consentement et par voie de contrôle, autrement il n’y a ni liberté publique ni contrôle, l’action publique et son contrôle étant entre les mêmes mains. « C’est la tyrannie exercée sans frein au nom du peuple, d’une manière plus irresponsable que ne le peut aucun despote, puisque la responsabilité n’est portée par personne, même devant l’histoire. » Laissant l’exercice des pouvoirs publics aux mains du gouvernement, la représentation populaire a pour mission essentielle le contrôle de l’emploi des deniers publics et l’octroi de son consentement pour la fixation des impôts et la promulgation des lois.

3° Organisation de la représentation. — Les fondés de pouvoir des contribuables constituent des organes administratifs autonomes pour la commune et la province. En cas de conflit entre la représentation et le gouvernement, pour  ne pas arrêter le fonctionnement des services publics, on admet, prenant modèle sur l’Angleterre, que le budget ordinaire est fixé pour plusieurs années et que seul le budget extraordinaire est mis annuellement en discussion. Le comte de Paris, Le Play et quantité d’esprits supérieurs réclament l’application de celte méthode.

 

LES ÉTATS DU PEUPLE. — L’ORGANISATION PROFESSIONNELLE

Vues générales. — La représentation professionnelle est la représentation des droits et des intérêts communs correspondant à l’exercice d’une profession. Un intérêt est plus précis, plus tangible qu’une opinion et peut donc mieux être représenté. Représenter un droit ou un intérêt, c’est pouvoir l’exprimer publiquement grâce à une participation dans un Corps de l’Etat spécialement affecté à cette expression. Ce Corps peut être consultatif (et émettre seulement des voeux ou des plaintes à l’adresse des pouvoirs publics), ou législatif (et, dans ce cas, prendre des délibérations ayant force exécutoire directe et immédiate).

Dès lors se pose une première question : Y a-t-il des droits et des intérêts communs correspondants à l’exercice de chaque profession? L’exercice d’une profession peut-il être la source d’un droit commun à ceux qui l’exercent ? L’homme qui, en vertu de la loi du travail, exerce une profession, a un droit de propriété sur le fruit de son travail. Mais le travail ne s’exerce guère dans des conditions purement individuelles, donc le droit de propriété qui en résulte est presque toujours un droit partagé entre plusieurs facteurs, compliqué par les conditions du travail, et commun aux éléments de même nature exerçant une action égale dans des conditions identiques. C’est le droit commun de la profession. A ce droit interne s’en ajoute un autre du fait que la profession joue son rôle dans un ensemble social, et que ce rôle doit être, dans l’intérêt public, subordonné à certaines règles. Tout cela était codifié autrefois, mais ces règles ont été supprimées au nom de la liberté du travail. Elles survivent parmi les gens de loi, où certains emplois sont réservés à des catégories déterminées de personnes. Certains autres emplois existent en nombre limité.

Si bien que les « soi-disant vices de l’Ancien Régime qu’on a le plus décriés, se sont perpétués précisément dans le milieu qui lui a fourni le plus de détracteurs » (les légistes).

Le droit professionnel peut être écrit ou coutumier. Dans le premier cas il est appliqué par des tribunaux ordinaires, dans le second par des juridictions, spéciales. (Conseil de l’Ordre des avocats, Chambres de Commerce, Conseils de Prud’hommes, Officialités diocésaines, Conseils de Guerre, etc…).

Une autre question se pose : Y a-t-il un intérêt commun aux membres d’une même profession ? Oui, c’est que cette profession rapporte à chacun d’eux les avantages matériels et moraux en vue desquels il l’exerce, c’est-à-dire la subsistance et la considération. Certes la concurrence existe entre les membres d’une même profession, ils peuvent avoir ou ont des intérêts distincts et même opposés, mais ils ont un intérêt commun : la prospérité de la profession. Des troubles économiques comme les grèves, regrettables certes, contribuent à mettre en relief, sinon un intérêt professionnel, du moins un intérêt de classe professionnelle. Cet intérêt professionnel peut être si fort qu’il aboutit parfois à des ententes qui apportent de véritables entraves à la concurrence, proclamée jadis l’âme du commerce (cartels, trusts). Cependant, le législateur de 1791 parlait dans le décret: d’abolition des corporations de « prétendus » intérêts communs entre gens de même profession ! Peut-être les trouvait-il tellement patents qu’ils pouvaient s’accommoder tout seuls entre, eux. et avec l’ensemble de la société. II n’avait prévu ni le développement de l’outillage, qui surprit une classe ouvrière endettée et par conséquent incapable de faire valoir ses droits dans une nouvelle organisation du travail, ni les capitalistes substitués aux industriels, comme patrons, capitalistes pour qui les intérêts professionnels « ne seraient qu’une pièce de l’échiquier toujours près d’être sacrifiée pour livrer carrière à une autre »,

Les droits et les intérêts professionnels n’étant pas représentés dans notre actuelle constitution politique, les pouvoirs publics les subordonnent aux intérêts de parti. Cependant on a tenté de faire quelque chose pour ces intérêts méconnus. Par imitation de l’organisation politique, on a songé à constituer des collèges électoraux à base professionnelle et à ouvrir aux élus les assemblées parlementaires: Remèdes inopérants, réformes stupides. Une chambre professionnelle unique serait un champ clos pour la bataille des intérêts  les intérêts particuliers seraient en conflit perpétuel, aucun intérêt commun n’apparaîtrait. Quel critérium aura-t-on pour accorder le suffrage professionnel à un individu, pour admettre la candidature d’un autre ?

C’est une absurdité de vouloir appliquer à la représentation professionnelle les règles suivies pour l’organisation politique. Il faut laisser les syndicats se former spontanément, puis les reconnaître légalement et les protéger.

Plan d’une organisation professionnelle.

 Les diverses classes de professions peuvent être constituées par la déclaration même des intéressés (patentes). Ceux-ci peuvent être répartis d’abord en quatre glandes divisions : agriculture, industrie, négoce et banque, professions libérales. Dans chaque classe il faut distinguer les professions et dans chaque profession lès différences dé condition. Il y aurait lieu de tenir régionalement un rôle des syndicats indiquant leur existence, leurs cadres, leur extension et le détail dé leur fonctionnement. Lé Gouvernement a un droit de contrôle sur le fonctionnement dés syndicats. Nous n’avons pas à entrer dans les détails de l’organisation des syndicats. Leurs constitutions seront diverses, non seulement d’après la profession exercée, mais d’après leurs compositions, leurs esprits et leurs milieux. Le syndicalisme sera intégral en ce sens qu’aucune profession ne devra rester en dehors de l’organisation.

Organisation territoriale.

— Décentralisation. — L’organisation territoriale des services administratifs n’a guère subi de changements en France depuis plus d’un siècle, malgré un important déplacement de la population des régions de faible densité vers les centres populeux, et malgré des progrès matériels considérables dans les transports et les communications. Les procédés administratifs du Premier Consul sont toujours appliqués. Il y aurait lieu de procéder à une revision sérieuse pour éviter d’appliquer à des départements de quelque cent mille âmes les méthodes qui servent pour ceux de deux millions d’âmes. Le remède est simple. Il suffirait d’accoler certains départements, d’en dédoubler certains ‘autres et d’étendre ce système aux arrondissements et aux cantons, en tenant compte de la population, de l’assiette territoriale et du plus ou moins d’homogénéité. Deux circonscriptions ne sauraient être accolées si elles sont séparées par des obstacles naturels difficilement surmontables. Ces réformes s’imposent pour diminuer les impôts par réduction du nombre des fonctionnaires.

 

Mais des réformes purement administratives, c’est-à-dire portant uniquement sur l’étendue des circonscriptions préfectorales ou autres, laisseraient subsister le vice fondamental de l’organisation territoriale actuelle: l’identité entre les administrés de ces circonscriptions et les collèges électoraux. Dans le système en vigueur, vivent sur la même subdivision territoriale des fonctionnaires révocables et interchangeables et des élus du peuple investis d’une durée de mandat fixe, sinon assurée. Forcément, les premiers sont subordonnés aux seconds et on obtient ce résultat que les administrations font surtout de la politique et que les membres des corps élus interviennent dans l’administration au profit de leurs candidatures. La liberté et la responsabilité n’existent plus pour personne dans cette confusion des pouvoirs. On voit donc l’intérêt qu’il y a à  laisser les bases actuelles de limitation servir à l’exercice et au contrôle de l’administration et à instaurer sur d’autres bases territoriales l’organisation représentative du pays.

Ainsi, les Conseils Généraux conserveraient leurs attributions administratives dans les limites départementales, mais abandonneraient leur droit de Voeux sur des questions législatives, lequel serait transféré au Conseil Provincial.

Pour établir une nouvelle division territoriale de la France il faut, à la base, considérer « le pays » (thèse de M. Foncin) qui, d’une manière générale, correspond à l’arrondissement. Les anciennes provinces ne peuvent servir de limitation aux nouvelles et, pour éviter toute équivoque, il est préférable de se servir du mot « région », chacune d’elles devant comprendre plusieurs de nos anciennes provinces et correspondant plutôt aux anciens « gouvernements ».

Cette même division sert de base à l’organisation professionnelle. L’arrondissement, sauf dans certains cas particuliers, est la circonscription normale pour l’établissement des corps d’état et des corporations, avec son chef-lieu pour siège de leurs chambres corporatives. Les arrondissements ou groupements de cantons correspondent aux anciens pays et se comptent pour une dizaine au moins, une vingtaine au plus, dans chaque groupement provincial ; les unions syndicales qui s’y seront formées enverront chacune trois ou quatre délégués à la chambre provinciale. Chaque chambre provinciale, devra avoir un bureau permanent élu dans son sein pour se tenir en rapports constants avec les chambres du premier degré et préparer les travaux dans l’intervalle des sessions.

Les Etats Provinciaux doivent-ils périodiquement se réunir au centre de l’Etat, en Etats Généraux ? Non, car ils constitueraient alors un pouvoir à côté de celui de la royauté. Or, la souveraineté doit être limitée, non partagée. « Le partage, c’est le conflit organisé, la limitation, c’est l’ordre. » La formule : « Le Prince en ses Conseils, le peuple en ses Etats » est suffisamment respectée par le jeu des Etats provinciaux, et une cause suffisamment entendue quand ils auront parlé. –

La Tour du Pin insiste sur l’intérêt de préparer l’opinion à accepter ces réformes : « Préparer l’opinion, c’est attirer l’attention de quelques gens qui pensent à quelque chose, sur cette anomalie, que le pays où le peuple prétend exercer la souveraineté n’est organisé qu’en pays conquis, c’est-à-dire en divisions administratives qui sont sans aucun rapport avec son histoire, avec sa configuration, avec  ses intérêts divers et multiples, avec tout ce qui constitué la vie de la cité. En un mot, il n’a pas conservé d’organisation politique : les élus du suffrage universel se font une gloire de ne représenter personne ni rien ; ils sont au Parlement les députés de la France, disent-ils. Ce n’est pourtant pas la France qui les a choisis. Ils n’ont pas de mandat parce qu’ils n’ont pas de mandants ; le collège électoral qui les a investis a disparu comme les éphémères en les mettant au jour ».

Cette conclusion nous ramène au problème politique. Il nous reste, en effet, à examiner les relations entre la politique et les réformes sociales dont nous venons d’esquisser l’ensemble. Ce sera l’objet d’une autre étude.

ROGER SÉMICHON.

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