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Les failles inquiétantes de l’avis du Conseil constitutionnel sur la loi Taubira

Failles du Conseil ConstitutionnelL’avis du Conseil constitutionnel sur la loi Taubira traduit une dérive positiviste peu surprenante, mais inquiétante. La République ne se reconnaît aucun principe éthique supérieur. Souverainement, le Conseil constitutionnel décide ce qui est discutable et ce qui ne l’est pas. Seul point positif : une reconnaissance de l’intérêt de l’enfant, qui pourra donner prise à de nombreux recours. L’opposition à la loi, notamment au regard du droit international, n’est pas terminée…

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL a déclaré conforme à la Constitution l’ensemble de la loi Taubira ouvrant le mariage et l’adoption aux personnes de même sexe. C’est une étape importante qui vient d’être franchie ; le texte a pu dès cet instant être promulgué par le président de la République. Il a été publié le lendemain au Journal officiel.

La décision rendue le 17 mai est évidemment décevante pour bien des raisons. D’une part, la motivation reste médiocre, même s’il faut avouer que l’on a vu pire de la part de cette institution qui prétend accéder au statut de cours suprême. La réponse aux recours des parlementaires est pour le moins expéditive, souvent technique et traduit un positivisme assez commun. Les plus attentifs remarqueront que le Conseil a parfois tendance à négliger certains aspects des recours et à en donner une formulation assez avantageuse pour lui.

D’autre part, sur le fond, les arguments avancés étaient loin d’être négligeables. Le Conseil d’État avait d’ailleurs émis un avis réservé sur le projet de loi notamment en raison des risques d’inconstitutionnalité. Mais ils sont tous rejetés, qu’ils portent sur le mariage ou sur la filiation !

De manière générale, le Conseil constitutionnel refuse de remettre en cause le choix législatif d’ouvrir le mariage et l’adoption aux personnes de même sexe. Cette attitude n’est pas nouvelle (V. Cons. constit., n° 74-54 DC du 15 janvier 1975, sur l’avortement) et est parfaitement assumée par le Conseil qui énonce d’entrée de jeu :

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« La Constitution ne confère pas au Conseil constitutionnel un pouvoir général d’appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement mais lui donne seulement compétence pour se prononcer sur la conformité à la Constitution des lois déférées à son examen (§14). »

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 Je concentrerai mon attention, sans prétendre à l’exhaustivité, sur les principales leçons que permet le commentaire d’une décision dont l’encre est à peine sèche.

I/ La privatisation du mariage

Le Conseil constitutionnel refuse de voir dans le mariage hétérosexuel une institution dont la protection serait une valeur constitutionnelle. Il est vrai que les textes constitutionnels actuels et passés n’ont guère prêté attention au mariage. La seule Constitution française ayant fait mention du mariage est celle du 3 septembre 1791 qui entendait se démarquer du mariage canonique en affirmant que « [l]a loi ne considère le mariage que comme un contrat civil ».

La compétence du législateur

Faut-il en laisser la définition à la seule compétence du législateur civil ? Pour le Conseil constitutionnel, la réponse est positive. En réalité, il l’avait déjà affirmé dans sa décision du 28 janvier 2011 dans laquelle il avait jugé que l’interdiction du mariage entre personnes de même sexe ne portait pas atteinte au droit de mener une vie familiale normale et au principe d’égalité (Décision n° 2010-92 QPC du 28 janvier 2011) :

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« En maintenant le principe selon lequel le mariage est l’union d’un homme et d’une femme, le législateur a, dans l’exercice de la compétence que lui attribue l’article 34 de la Constitution, estimé que la différence de situation entre les couples de même sexe et les couples composés d’un homme et d’une femme peut justifier une différence de traitement quant aux règles du droit de la famille ; qu’il n’appartient pas au Conseil constitutionnel de substituer son appréciation à celle du législateur sur la prise en compte, en cette matière, de cette différence de situation (§9). »

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Dans sa décision du 17 mai 2013, le Conseil reprend cet argument et précise que les règles relatives au mariage relèvent de l’état des personnes, matière relevant elle-même de la compétence du législateur aux termes de l’article 34 de la Constitution.

Dans le même ordre d’idées, le Conseil constitutionnel rejette, sans argumenter, l’argument naturaliste : « doit en tout état de cause être écarté le grief tiré de ce que le mariage serait “naturellement” l’union d’un homme et d’une femme… »

La raison de ce rejet n’apparaît que dans le commentaire de la décision fourni par le Conseil lui-même :

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« Le Conseil était ainsi saisi d’une argumentation quasi jusnaturaliste, inédite, invoquant un “ancrage” des droits de l’homme dans le droit naturel dont il aurait résulté la constitutionnalité de l’hétérosexualité du mariage à laquelle seul le constituant aurait pu déroger. Le Conseil constitutionnel n’a pas donné suite à cette argumentation… »

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C’est donc uniquement en raison de son registre que l’argument a été rejeté. Le Conseil n’a pas méconnu l’originalité de l’argument mais il a purement et simplement décidé de ne pas y donner suite ! Le volontarisme législatif permet dès lors de définir le contour des institutions civiles sans admettre de limites naturelles. C’est une leçon de positivisme que nous donne finalement le Conseil constitutionnel. Son positivisme le rend incapable d’apporter la moindre réponse à l’argument jusnaturaliste qui ne peut alors qu’être disqualifié.

La redéfinition du mariage républicain

La définition du mariage n’est donc pas de la compétence du Constituant mais du législateur ordinaire. Le Conseil constitutionnel considère, en outre, que l’ouverture du mariage aux personnes de même sexe n’est pas contraire aux dispositions de la Constitution.

En 2011, le Conseil avait reconnu que le principe d’égalité ne s’oppose pas à ce que le mariage soit écarté entre personnes de même sexe. Cette idée a été largement négligée mais elle signifie que la loi ouvrant le mariage aux personnes de même sexe n’est pas imposée par le principe d’égalité. La Convention européenne des droits de l’homme elle-même laisse aux États la liberté de reconnaître ou non aux couples de même sexe l’accès à une union appelée mariage (Cf. not. Cour EDH, 24 juin 2010,Schalk et Kopf c. Autriche).

La loi validée par la Conseil constitutionnel n’est pas une loi d’égalité mais de non-discrimination conduisant à traiter de la même façon des personnes qui ne se trouvent pas dans la même situation. Elle est, pour cette raison, une loi injuste.

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