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(Dé)formation de journalistes : le programme consternant d’un stage du CFPJ

Génération YFrançois Ruffin nous avait déjà appris à quel point l’école de journalisme la plus prestigieuse de France, le CFJ, s’appliquait à inculquer à ses étudiants les fondements d’un « journalisme insipide, aéfepéisé, routinisé, markétisé, sans risque et sans révolte, dépourvu de toute espérance  » [1]. Cette école privée facture la formation initiale de deux ans 7 000 euros (à titre de comparaison, les frais d’inscription pour une année de master à l’université se montent à 250 euros) et s’inscrit désormais dans une holding : le groupe CFPJ [2]. En son sein le CFPJ–Médias propose des sessions de formation continue. Et la médiocrité de ces enseignements à l’intention des professionnels ne semble rien avoir à envier à celle de la filière classique, et à des tarifs plus exorbitants encore. Illustration avec la formation intitulée « Écrire pour la génération Y » (dont on peut lire le programme en « Annexe »).

L’intitulé de ce stage, pour abscons qu’il soit, évoque néanmoins les pires travers d’un journalisme « de société » qui, sans cesse à l’affût de prétendues « nouvelles tendances », prend les vessies de concepts publicitaires aussi creux que jetables pour les lanternes de l’analyse sociologique. Car cette mystérieuse « génération Y » – « analysée » sous toutes les coutures par de grands titres nationaux [3] – ne désigne rien d’autre que « les jeunes », « les 18-30 ans », voire les « 18-25 », censés appartenir à une génération « zappeuse » et « multimédia ».

Outre qu’il est absurde de rassembler sous le seul critère de l’âge l’ensemble des jeunes de 18 à 30 ans sans autre distinction de statut socio-économique, il est tout aussi inepte de prétendre les caractériser par une appétence homogène pour des nouvelles technologies de l’information et de la communication dont les usages sont éminemment variables en fonction du milieu social, et en particulier du bagage scolaire et culturel. Mais, ces objections évidentes n’effraient pas le CFPJ qui, cédant à la lubie du moment des grands « rubricards sociétaux », propose dans ce stage de cerner en 14 heures « le fonctionnement et les centres d’intérêt » (sic) de la jeunesse française rebaptisée « génération Y » !

Cibler « les jeunes »

Derrière son titre ronflant, affichant une ambition aussi démesurée que vide de sens, la formation consiste en réalité en une série de leçons de marketing éditorial qui visent à « adapter ses angles et son écriture à la cible jeune ». Sur ces bases, le programme du stage alterne les questionnements les plus saugrenus (« Économie : faut-il que la crise soit drôle pour qu’elle intéresse les jeunes ? »), des propositions de sujets les plus rebattus par un certain journalisme faisant commerce de sa frivolité (« sujets de société décalés »), et des conseils stylistiques qu’on pensait naïvement s’appliquer à tous les secteurs de la presse (« éviter encore plus les clichés habituels », « varier le vocabulaire », « favoriser la distance et le recul dans la rédaction de l’article »).

Mais c’est surtout à un journalisme de divertissement et d’opinion, superficiel et standardisé, qui abdique toute ambition pour gagner un public supposé abêti, que renvoie la présentation du stage : « écrire court, dense et simple pour une génération habituée aux messages express », « une écriture privilégiant la mise en scène et la forme », « les genres prisés par les jeunes : ceux qui favorisent le processus d’identification et permettent de raconter une histoire », « Vocabulaire : mêler « parler jeune » et autorité du discours journalistique », « goût pour des angles éditorialisants ou impliquant la subjectivité », ou encore, last but not least, « focus sur le gonzo journalisme » [4].

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